Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/109

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tives. Elle fait corps avec la vie de la masse sociale, et celle-ci, étant naturellement inerte, apparaît avant tout comme un facteur de conservation.

Toutefois il ne suffit pas de dire que la langue est un produit des forces sociales pour qu'on voie clairement qu'elle n'est pas libre ; se rappelant qu'elle est toujours l'héritage d'une époque précédente, il faut ajouter que ces forces sociales agissent en fonction du temps. Si la langue a un caractère de fixité, ce n’est pas seulement parce qu'elle est attachée au poids de la collectivité, c’est aussi qu’elle est située dans le temps. Ces deux faits sont inséparables. A tout instant, la solidarité avec le passé met en échec la liberté de choisir. Nous disons homme et chien parce qu'avant nous on a dit homme et chien. Cela n'empêche pas qu’il n’y ait dans le phénomène total un lien entre ces deux facteurs antinomiques : la convention arbitraire en vertu de laquelle le choix est libre, et le temps, grâce auquel le choix se trouve fixé. C’est parce que le signe est arbitraire qu’il ne connaît d’autre loi que celle de la tradition, et c’est parce qu’il se fonde sur la tradition qu’il peut être arbitraire.

§ 2.

Mutabilité.

Le temps, qui assure la continuité de la langue, a un autre effet, en apparence contradictoire au premier : celui d’altérer plus ou moins rapidement les signes linguistiques et, en un certain sens, on peut parler à la fois de l'immutabilité et de la mutabilité du signe[1].

En dernière analyse, les deux faits sont solidaires : le

  1. On aurait tort de reprocher à F. de Saussure d’être illogique ou paradoxal en attribuant à la langue deux qualités contradictoires. Par l'opposition de deux termes frappants, il a voulu seulement marquer fortement cette vérité, que la langue se transforme sans que les sujets puissent la transformer. On peut dire aussi qu'elle est intangible, mais non inaltérable (Ed.).