Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position sur l'échiquier, de même que dans la langue chaque terme a sa valeur par son opposition avec tous les autres termes.

En second lieu, le système n’est jamais que momentané ; il varie d'une position à l’autre. Il est vrai que les valeurs dépendent aussi et surtout d'une convention immuable, la règle du jeu, qui existe avant le début de la partie et persiste après chaque coup. Cette règle admise une fois pour toutes existe aussi en matière de langue ; ce sont les principes constants de la sémiologie.

Enfin, pour passer d'un équilibre à l'autre, ou — selon notre terminologie — d'une synchronie à l'autre, le déplacement d’une pièce suffit ; il n’y a pas de remue-ménage général. Nous avons là le pendant du fait diachronique avec toutes ses particularités. En effet :

a) Chaque coup d’échecs ne met en mouvement qu’une seule pièce ; de même dans la langue les changements ne portent que sur des éléments isolés.

b) Malgré cela le coup a un retentissement sur tout le système ; il est impossible au joueur de prévoir exactement les limites de cet effet. Les changements de valeurs qui en résulteront seront, selon l’occurence, ou nuls, ou très graves, ou d'importance moyenne. Tel coup peut révolutionner l'ensemble de la partie et avoir des conséquences même pour les pièces momentanément hors de cause. Nous venons de voir qu'il en est exactement de même pour la langue.

c) Le déplacement d'une pièce est un fait absolument distinct de l'équilibre précédent et de l'équilibre subséquent. Le changement opéré n'appartient à aucun de ces deux états : or les états sont seuls importants.

Dans une partie d'échecs, n'importe quelle position donnée a pour caractère singulier d'être affranchie de ses antécédents ; il est totalement indifférent qu'on y soit arrivé par une voie ou par une autre ; celui qui a suivi toute la