Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/134

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nuent pas la fatalité des changements de cette nature, car elles s'expliquent soit par des lois phonétiques plus spéciales (voir l'exemple de tríkhes : thriksí p. 138) soit par l'intervention de faits d'un autre ordre (analogie, etc.). Rien ne semble donc mieux répondre à la définition donnée plus haut du mot loi. Et pourtant, quel que soit le nombre des cas où une loi phonétique se vérifie, tous les faits qu'elle embrasse ne sont que les manifestations d'un seul fait particulier.

La vraie question est de savoir si les changements phonétiques atteignent les mots ou seulement les sons ; la réponse n'est pas douteuse : dans néphos, méthu, ánkhō, etc., c'est un certain phonème, une sonore aspirée indo-européenne qui se change en sourde aspirée, c'est l’s initial du grec primitif qui se change en h, etc., et chacun de ces faits est isolé, indépendant des autres événements du même ordre, indépendant aussi des mots où il se produit[1]. Tous ces mots se trouvent naturellement modifiés dans leur matière phonique, mais cela ne doit pas nous tromper sur la véritable nature du phonème.

Sur quoi nous fondons-nous pour affirmer que les mots eux-mêmes ne sont pas directement en cause dans les transformations phonétiques ? Sur cette constatation bien simple que de telles transformations leur sont au fond étrangères et ne peuvent les atteindre dans leur essence. L'unité du mot n'est pas constituée uniquement par l'ensemble de ses phonèmes ; elle tient à d'autres caractères que sa qualité

  1. Il va sans dire que les exemples cités ci-dessus ont un caractère purement schématique : la linguistique actuelle s’efforce avec raison de ramener des séries aussi larges que possible de changements phonétiques à un même principe initial ; c’est ainsi que M. Meillet explique toutes les transformations des occlusives grecques par un affaiblissement progressif de leur articulation (voir Mém. de la Soc. de Ling., IX, p. 163 et suiv.). C’est naturellement à ces faits généraux, là où il existent, que s'appliquent en dernière analyse ces conclusions sur le caractère des changements phonétiques (Ed.).