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Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/140

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tôt d’une multitude de faits similaires dans la sphère de la parole ; cela n’infirme en rien la distinction établie ci-dessus, elle s’en trouve même confirmée, puisque dans l'histoire de toute innovation on rencontre toujours deux moments distincts : 1° celui où elle surgit chez les individus ; 2° celui où elle est devenue un fait de langue, identique extérieurement, mais adopté par la collectivité.

Le tableau suivant indique la forme rationnelle que doit prendre l’étude linguistique :

Il faut reconnaître que la forme théorique et idéale d’une science n’est pas toujours celle que lui imposent les exigences de la pratique. En linguistique ces exigences-là sont plus impérieuses que partout ailleurs ; elles excusent en quelque mesure la confusion qui règne actuellement dans ces recherches. Même si les distinctions établies ici étaient admises une fois pour toutes, on ne pourrait peut-être pas imposer, au nom de cet idéal, une orientation précise aux investigations.

Ainsi dans l’étude synchronique de l’ancien français le linguiste opère avec des faits et des principes qui n’ont rien de commun avec ceux que lui ferait découvrir l’histoire de cette même langue, du xiiie au xxe siècle ; en revanche ils sont comparables à ceux que révélerait la description d’une langue bantoue actuelle, du grec antique en 400 avant Jésus-Christ ou enfin du français d’aujourd’hui. C’est que ces divers exposés reposent sur des rapports similaires ; si chaque idiome forme un système fermé, tous supposent certains principes constants, qu’on retrouve en passant de l’un à l’autre, parce qu’on reste dans le même ordre. Il n’en est pas autrement de l’étude historique : que l’on parcoure une période déter-