Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/150

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espèce zoologique ; mais c’est une illusion : chez les animaux d'une même espèce les caractères communs sont bien plus importants que les différences qui les séparent ; entre les phrases, au contraire, c'est la diversité qui domine, et dès qu'on cherche ce qui les relie toutes à travers cette diversité, on retrouve, sans l'avoir cherché, le mot avec ses caractères grammaticaux, et l'on retombe dans les mêmes difficultés.

§ 4.

Conclusion.

Dans la plupart des domaines qui sont objets de science, la question des unités ne se pose même pas : elles sont données d'emblée. Ainsi, en zoologie, c'est l'animal qui s'offre dès le premier instant. L'astronomie opère aussi sur des unités séparées dans l'espace : les astres ; en chimie, on peut étudier la nature et la composition du bichromate de potasse sans douter un seul instant que ce soit un objet bien défini.

Lorsqu'une science ne présente pas d’unité concrètes immédiatement reconnaissables, c’est qu’elles n'y sont pas essentielles. En histoire, par exemple, est-ce l'individu, l'époque, la nation ? On ne sait, mais qu'importe ? On peut faire œuvre historique sans être au clair sur ce point.

Mais de même que le jeu d’échecs est tout entier dans la combinaison des différentes pièces, de même la langue a le caractère d’un système basé complètement sur l'opposition de ses unités concrètes. On ne peut ni se dispenser de les connaître, ni faire un pas sans recourir à elles ; et pourtant leur délimitation est un problème si délicat qu’on se demande si elles sont réellement données.

La langue présente donc ce caractère étrange et frappant de ne pas offrir d’entités perceptibles de prime abord, sans qu’on puisse douter cependant qu’elles existent et que c’est leur jeu qui la constitue. C’est là sans doute un trait qui la distingue de toutes les autres institutions sémiologiques.