Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/157

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contiguës dessinées à la fois sur le plan indéfini des idées confuses (A) et sur celui non moins indéterminé des sons (B) ; c’est ce qu’on peut figurer très approximativement par le schéma :

Le rôle caractéristique de la langue vis-à-vis de la pensée n’est pas de créer un moyen phonique matériel pour l’expression des idées, mais de servir d’intermédiaire entre la pensée et le son, dans des conditions telles que leur union aboutit nécessairement à des délimitations réciproques d’unités. La pensée, chaotique de sa nature, est forcée de se préciser en se décomposant. Il n’y a donc ni matérialisation des pensées, ni spiritualisation des sons, mais il s’agit de ce fait en quelque sorte mystérieux, que la « pensée-son » implique des divisions et que la langue élabore ses unités en se constituant entre deux masses amorphes. Qu’on se représente l’air en contact avec une nappe d’eau : si la pression atmosphérique change, la surface de l’eau se décompose en une série de divisions, c’est-à-dire de vagues ; ce sont ces ondulations qui donneront une idée de l’union, et pour ainsi dire de l’accouplement de la pensée avec la matière phonique.

On pourrait appeler la langue le domaine des articulations, en prenant ce mot dans le sens défini p. 26 : chaque terme linguistique est un petit membre, un articulus où une idée se fixe dans un son et où un son devient le signe d’une idée.