Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/169

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formuler ainsi : les caractères de l’unité se confondent avec l’unité elle-même. Dans la langue, comme dans tout système sémiologique, ce qui distingue un signe, voilà tout ce qui le constitue. C’est la différence qui fait le caractère, comme elle fait la valeur et l’unité.

Autre conséquence, assez paradoxale, de ce même principe : ce qu’on appelle communément un « fait de grammaire » répond en dernière analyse à la définition de l’unité, car il exprime toujours une opposition de termes ; seulement cette opposition se trouve être particulièrement significative, par exemple la formation du pluriel allemand du type Nacht : Nächte. Chacun des termes mis en présence dans le fait grammatical (le singulier sans umlaut et sans e final, opposé au pluriel avec umlaut et -e) est constitué lui-même par tout un jeu d’oppositions au sein du système ; pris isolément, ni Nacht ni Nächte, ne sont rien : donc tout est opposition. Autrement dit, on peut exprimer le rapport Nacht : Nächte par une formule algébrique a/b, où a et b ne sont pas des termes simples, mais résultent chacun d’un ensemble de rapports. La langue est pour ainsi dire une algèbre qui n’aurait que des termes complexes. Parmi les oppositions qu’elle comprend, il y en a qui sont plus significatives que d’autres ; mais unité et fait de grammaire ne sont que des noms différents pour désigner des aspects divers d’un même fait général : le jeu des oppositions linguistiques. Cela est si vrai qu’on pourrait fort bien aborder le problème des unités en commençant par les faits de grammaire. Posant une opposition telle que Nacht : Nächte, on se demanderait quelles sont les unités mises en jeu dans cette opposition. Sont-ce ces deux mots seulement ou toute la série des mots similaires ? ou bien a et ä ? ou tous les singuliers et tous les pluriels ? etc.

Unité et fait de grammaire ne se confondraient pas si les signes linguistiques étaient constitués par autre chose que des différences. Mais la langue étant ce qu’elle est, de quelque