Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/188

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j’obéis, on voit que l’opposition est rendue grammaticalement dans le premier cas et lexicologiquement dans le second. Quantité de rapports exprimés dans certaines langues par des cas ou des prépositions sont rendus dans d’autres par des composés, déjà plus voisins des mots proprement dits (franç. royaume des cieux et all. Himmerleich), ou par des dérivés (franç. moulin à vent et polon. wiatr-ak) ou enfin par des mots simples (franç. bois de chauffage et russe drová, franc, bois de construction et russe lês). L’échange des mots simples et des locutions composées au sein d’une même langue (cf. considérer et prendre en considération, se venger de et tirer vengeance de) est également très fréquent.

On voit donc qu’au point de vue de la fonction, le fait lexicologique peut se confondre avec le fait syntaxique. D’autre part, tout mot qui n’est pas une unité simple et irréductible ne se distingue pas essentiellement d’un membre de phrase, d’un fait de syntaxe ; l’agencement des sous-unités qui le composent obéit aux mêmes principes fondamentaux que la formation des groupes de mots.

En résumé, les divisions traditionnelles de la grammaire peuvent avoir leur utilité pratique, mais ne correspondent pas à des distinctions naturelles et ne sont unies par aucun lien logique. La grammaire ne peut s’édifier que sur un principe différent et supérieur.

§ 2.

Divisions rationnelles.

L’interpénétration de la morphologie, de la syntaxe et de la lexicologie s’explique par la nature au fond identique de tous les faits de synchronie. Il ne peut y avoir entre eux aucune limite tracée d’avance. Seule la distinction établie plus haut entre les rapports syntagmatiques et les rapports associatifs suggère un mode de classement qui s’impose de lui-même, le seul qu’on puisse mettre à la base du système grammatical.