Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/196

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Remarquons cependant que beaucoup de changements tenus pour grammaticaux se résolvent en des changements phonétiques. La création du type grammatical de l’allemand Hand : Hände, substitué à hant : hanti (voir p. 120), s’explique entièrement par un fait phonétique. C’est encore un fait phonétique qui est à la base du type de composés Springbrunnen, Reitschule, etc. ; en vieux haut allemand le premier élément n’était pas verbal, mais substantif ; beta-hūs voulait dire « maison de prière » ; cependant la voyelle finale étant tombée phonétiquement (beta-bet-, etc.), il s’est établi un contact sémantique avec le verbe (beten, etc), et Bethaus a fini par signifier « maison pour prier ».

Quelque chose de tout semblable s’est produit dans les composés que l’ancien germanique formait avec le mot līch « apparence extérieure » (cf. mannolīch « qui a l’apparence d’un homme », redolīch « qui a l’apparence de la raison »). Aujourd’hui, dans un grand nombre d’adjectifs (cf. verzeihlich, glaublich, etc.), -lich est devenu un suffixe, comparable à celui de pardonn-able, croy-able, etc., et en même temps l’interprétation du premier élément a changé : on n’y aperçoit plus un substantif, mais une racine verbale ; c’est que dans un certain nombre de cas, par chute de la voyelle finale du premier élément (par exemple redo-red-), celui-ci a été assimilé à une racine verbale (red- de reden).

Ainsi dans glaublich, glaub- est rapproché de glauben plutôt que de Glaube, et malgré la différence du radical, sichtlich est associé à sehen et non plus à Sicht.

Dans tous ces cas et bien d’autres semblables, la distinction des deux ordres reste claire ; il faut s’en souvenir pour ne pas affirmer à la légère qu’on fait de la grammaire historique quand, en réalité, on se meut successivement dans le domaine diachronique, en étudiant le changement phonétique, et dans le domaine synchronique, en examinant les conséquences qui en découlent.