Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/235

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regi-ōnālis, et pour montrer que le suffixe -tāt- s’était grossi d’un élément i emprunté au radical on n’a qu’à alléguer celer-itātem ; pāg-ānus, formé sur pāg-us, suffit à montrer comment les Latins analysaient Rōm-ānus ; l’analyse de redlich (p. 195) est confirmée par l’existence de sterblich, formé avec une racine verbale, etc.

Un exemple particulièrement curieux montrera comment l’analogie travaille d’époque en époque sur de nouvelles unités. En français moderne somnolent est analysé somnol-ent, comme si c’était un participe présent ; la preuve, c’est qu’il existe un verbe somnoler. Mais en latin on coupait somno-lentus, comme succu-lentus, etc., plus anciennement encore somn-olentus (« qui sent le sommmeil », de olēre comme vīn-olen-tus « qui sent le vin »).

Ainsi l’effet le plus sensible et le plus important de l’analogie est de substituer à d’anciennes formations, irrégulières et caduques, d’autres plus normales, composées d’éléments vivants.

Sans doute les choses ne se passent pas toujours aussi simplement : l’action de la langue est traversée d’une infinité d’hésitations, d’à peu près, de demi-analyses. A aucun moment un idiome ne possède un système parfaitement fixe d’unités. Qu’on pense à ce qui a été dit p. 213 de la flexion de *ekwos en face de celle de *pods. Ces analyses imparfaites donnent lieu parfois à des créations analogiques troubles. Les formes indo-européennes *geus-etai, *gus-tos, *gus-tis permettent de dégager une racine geus- gus- « goûter » ; mais en grec s intervocalique tombe, et l’analyse de geúomai, geustós en est troublée ; il en résulte un flottement, et c’est tantôt geus- tantôt geu- que l’on dégage ; à son tour l’analogie témoigne de cette fluctuation, et l’on voit même des bases en eu- prendre cet s final (exemple : pneu-, pneûma, adjectif verbal pneus-tós).

Mais même dans ces tâtonnements l’analogie exerce une action sur la langue. Ainsi, bien qu’elle ne soit pas en