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Chapitre VI

L’étymologie populaire

Il nous arrive parfois d’estropier les mots dont la forme et le sens nous sont peu familiers, et parfois l’usage consacre ces déformations. Ainsi l’ancien français coute-pointe (de coute, variante de couette, « couverture » et pointe, part. passé de poindre « piquer »), a été changé en courte-pointe, comme si c’était un composé de l’adjectif court et du substantif pointe. Ces innovations, quelque bizarres qu’elles soient, ne se font pas tout à fait au hasard ; ce sont des tentatives d’expliquer approximativement un mot embarrassant en le rattachant à quelque chose de connu.

On a donné à ce phénomène le nom d’étymologie populaire. À première vue, il ne se distingue guère de l’analogie. Quand un sujet parlant, oubliant l’existence de surdité, crée analogiquement le mot sourdité, le résultat est le même que si, comprenant mal surdité, il l’avait déformé par souvenir de l’adjectif sourd ; et la seule différence serait alors que les constructions de l’analogie sont rationnelles, tandis que l’étymologie populaire procède un peu au hasard et n’aboutit qu’à des coq-à-l’âne.

Cependant cette différence, ne concernant que les résultats, n’est pas essentielle. La diversité de nature est plus profonde ; pour faire voir en quoi elle consiste, commençons par donner quelques exemples des principaux types d’étymologie populaire.