Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/297

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montre qu’il n’y en a aucune à laquelle on puisse assigner un âge, parce que n’importe laquelle est la continuation de ce qui se parlait avant elle. Il n’en est pas du langage comme de l’humanité : la continuité absolue de son développement empêche d’y distinguer des générations, et Gaston Paris s’élevait avec raison contre la conception de langues filles et de langues mères, parce qu’elle suppose des interruptions. Ce n’est donc pas dans ce sens qu’on peut dire qu’une langue est plus vieille qu’une autre.

2o On peut aussi donner à entendre qu’un état de langue a été surpris à une époque plus ancienne qu’une autre : ainsi le perse des inscriptions achéménides est plus ancien que le persan de Firdousi. Tant qu’il s’agit, comme dans ce cas particulier, de deux idiomes positivement issus l’un de l’autre et également bien connus, il va sans dire que le plus ancien doit seul entrer en ligne de compte. Mais si ces deux conditions ne sont pas remplies, cette ancienneté-là n’a aucune importance ; ainsi le lituanien, attesté depuis 1540 seulement, n’est pas moins précieux à cet égard que le paléoslave, consigné au xe siècle, ou même que le sanscrit du Rigvéda.

3o Le mot « ancien » peut désigner enfin un état de langue plus archaïque, c’est-à-dire dont les formes sont restées plus près du modèle primitif, en dehors de toute question de date. Dans ce sens, on pourrait dire que le lituanien du xvie siècle est plus ancien que le latin du iiie siècle avant l’ère.

Si l’on attribue au sanscrit une plus grande ancienneté qu’à d’autres langues, cela ne peut donc être que dans le deuxième ou le troisième sens ; or il se trouve qu’il l’est dans l’un comme dans l’autre. D’une part, on accorde que les hymnes védiques dépassent en antiquité les textes grecs les plus anciens ; d’autre part, chose qui importe particulièrement, la somme de ses caractères archaïques est considérable en comparaison de ce que d’autres langues ont conservé (voir p. 15).