Page:Saussure - Cours de linguistique générale, éd. Bally et Sechehaye, 1971.djvu/65

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nous savons ce que c’est qu’un b, un t, etc. Si l’on pouvait reproduire au moyen d’un cinématographe tous les mouvements de la bouche et du larynx exécutant une chaîne de sons, il serait impossible de découvrir des subdivisions dans cette suite de mouvements articulatoires ; on ne sait où un son commence, où l’autre finit. Comment affirmer, sans l’impression acoustique, que dans fāl, par exemple, il y a trois unités, et non deux ou quatre ? C’est dans la chaîne de la parole entendue que l’on peut percevoir immédiatement si un son reste ou non semblable à lui-même ; tant qu’on a l’impression de quelque chose d’homogène, ce son est unique. Ce qui importe, ce n’est pas non plus sa durée en croches ou doubles croches (cf. fāl et făl), mais la qualité de l’impression. La chaîne acoustique ne se divise pas en temps égaux, mais en temps homogènes, caractérisés par l’unité d’impression, et c’est là le point de départ naturel pour l’étude phonologique.

A cet égard l’alphabet grec primitif mérite notre admiration. Chaque son simple y est représenté par un seul signe graphique, et réciproquement chaque signe correspond à un son simple, toujours le même. C’est une découverte de génie, dont les Latins ont hérité. Dans la notation du mot bárbaros « barbare », ΒΑΡΒΑΡΟΣ, chaque lettre correspond à un temps homogène ; dans la figure ci-dessus la ligne horizontale représente la chaîne phonique, les petites barres verticales les passages d’un son à un autre. Dans l’alphabet grec primitif, on ne trouve pas de graphies complexes comme notre « ch » pour š, ni de représentations doubles d’un son unique comme « c » et « s » pour s, pas non plus de signe simple pour un son double, comme « x » pour ks. Ce principe, nécessaire et suffisant pour une bonne écriture phonologique, les Grecs l’ont réalisé presque intégralement[1].

  1. Il est vrai qu’ils ont écrit Χ, Θ, Φ pour kh, th, ph ; ΦΕΡΩ représente