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système des a suivant curtius.

Bopp et ceux qui suivirent immédiatement l’illustre auteur de la Grammaire Comparée se bornèrent à constater qu’en regard des trois voyelles a e o des langues européennes, l’arien montrait uniformément a. L’e et l’o passèrent dès lors pour des affaiblissements propres aux idiomes de l’Occident et relativement récents de l’a unique indo-européen.

Le travail de M. Curtius dans les Sitzungsherichte der Kgl. Sächs. Ges. der Wiss. (1864) enrichit la science d’un grand fait de plus : M. Curtius montrait que l’e apparaît à la même place dans toutes les langues d’Europe, qu’il ne peut par conséquent s’être développé indépendamment dans chacune d’elles. Et partant de l’idée reçue que la langue-mère ne possédait que les trois voyelles a i u, il tira cette conclusion que tous les peuples européens avaient dû traverser une période commune, où, parlant encore une même langue, ils étaient déjà séparés de leurs frères d’Asie : que durant cette période une partie des a s’étaient — sous une influence inconnue — affaiblis en e, tandis que le reste persistait comme a. Plus tard les différentes langues ont laissé s’accomplir, séparément les unes des autres, un second scindement de l’a qui a produit l’o. Au sud de l’Europe néanmoins, cette voyelle a dû prendre naissance dès avant la fin de la période gréco-italique, vu la concordance de l’o des deux langues classiques, notamment dans la déclinaison des thèmes masculins en -a (ἵππος = equos).

Nous croyons représenter exactement le système de M. Curtius par le tableau suivant[1] :

Indo-europ. a ā
Européen a ; e ā
Plus tard ao ; e ā

L’exposé de M. Fick (Spracheinheit der Indogermanen Europas, p. 176 seq.) reproduit en gros le système précédent. L’ancien

  1. Il y faut ajouter cependant la remarque suivante des Grundzüge (p. 54): « le dualisme (Zweiklang) primitif gan (skr. ģan-â-mi) et gân (skr. parf. ģa-ģân-a), bhar (skr. bhar-â-mi) et bhâr (skr. bhâra-s fardeau) devint par une substitution insensible d’abord : gen gan, bher bhar, puis gen gon (γενέσθαι, γέγονα), bher bhor (ϕέρω, ϕόρος). Mais rien ne peut faire penser qu’il y ait jamais eu une période où γεν et γον, ϕερ et ϕορ se seraient échangés arbitrairement, de telle sorte qu’il eût pu arriver de dire γονέσθαι, ϕόρω ou inversement γέγενα, ϕέρος. » Ici par conséquent le savant professeur admet une diversité originaire de l’e et de l’o et fait remonter l’o de γέγονα à l’indo-européen ā.