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analyse des noms de nombre ordinaux en -ma

tandis qu’à chaque forme de notre seconde série répond, au moins dans une langue, un adjectif en -ma : nous ne citons pas l’iranien, trop voisin du sanskrit pour changer beaucoup la certitude du résultat.

En regard de saptamá : gr. ἕβδομος, lat. septimus, boruss. septmas, paléosl. sedmŭ, irland. sechtmad.
En regard de ašṭamá : lit. aszmas, paléosl. osmŭ, irland. ochtmad.
En regard de navamá : lat. nonus pour *nomus venant de *noumos, v. Curtius, Grdz., p. 534.
En regard de daçamá : lat. decimus.

Donc les noms de nombre sept, huit, neuf et dix, et ceux-là seuls, formaient dans la langue mère des adjectifs ordinaux en -ma. Or il se trouve précisément que ces quatre noms de nombre[1], et ceux-là seuls, se terminent par une nasale. Ou bien il y a là un jeu singulier du hasard, ou bien la nasale des cardinaux et celle des ordinaux sont en réalité une seule et même chose ; en d’autres termes, pour autant qu’on a le droit de regarder les premiers comme bases des seconds, le suffixe dérivatif des ordinaux est -a, non pas -ma[2].

La nasale latente de saptá, identique à celle qui apparaît dans saptamá, est donc un m. Même conclusion, en ce qui concerne ašṭá, náva, dáça.

Nous revenons au nom de nombre cinq. Bopp (Gr. Comp. II, p. 225 seq. de la trad. française) fait remarquer l’absence de la nasale finale dans les langues européennes[3], ainsi que l’ε du grec πέντε en regard de l’α de ἑπτά, ἐννέα, δέκα « conservé par la nasale ». – « De tous ces faits, dit-il, on est tenté de conclure
  1. Une des formes du nom de nombre huit se terminait en effet par une nasale. Il est vrai que les composés grecs comme ὀκτα-κόσιοι, ὀκτά-πηχυς n’en offrent qu’une trace incertaine, et qu’ils s’expliquent suffisamment par l’analogie de ἑπτα-, ἐννεα-, δεκα- (cf. ἑξα-). Pour le lat. octingenti, une telle action de l’analogie est moins admissible ; cette forme d’autre part ne saurait renfermer le distributif octōni ; on peut donc avec quelque raison conclure à un ancien *octem. Le sanskrit lève tous les doutes : son nom.-acc. ašṭá est nécessairement l’équivalent d’*octem, car personne ne s’avisera de le ramener à un primitif akta répondant à une forme grecque fictive « ὀκτε » semblable à πέντε : une pareille supposition serait dénuée de tout fondement. Tout au plus pourrait-on penser à un duel en ă dans le genre de deva pour devā, et c’est en effet dans ce sens que se prononcent les éditeurs du dictionnaire de St-Pétersbourg. Mais pourquoi, dans ce cas, cette forme se perpétue-t-elle dans le sanskrit classique ? On est donc bien autorisé à admettre une forme à nasale, qui peut-être avait une fonction spéciale dans l’origine. – Pour ce qui est de la forme aktau, assurée par le got. ahtau, nous nous bornons à relever dans la formation de son ordinal (gr. *ὀγδοϝ-ο- ou *ὀγδϝ-ο-, lat. octāv-o-) le même mode de dérivation au moyen d’un suff. -a que dans ašṭam-á, saptam-á etc. (v. la suite du texte).
  2. Quant à savoir si, en tout dernier ressort, on ne trouverait pas telle ou telle parenté entre le -ma du superlatif et le -m-a des adjectifs ordinaux, de façon par exemple que déjà dans la période proethnique, la terminaison ma de ces derniers aurait produit l’impression du superlatif et aurait été étendue de là à d’autres thèmes pour les élever à cette fonction, ce sont des questions que nous n’avons pas à examiner ici.
  3. Le gotique fimf ferait « fimfun » s’il avait eu la nasale finale.