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analyse des noms de nombre ordinaux en -ma

que la nasale finale de páńćan, en sanskrit et en zend, est une addition de date postérieure. » C’est trop encore que de la laisser aux langues ariennes : en effet, le gén. skr. pańćānā́m (zd. pañćanãm) serait tout à fait irrégulier s’il dérivait d’un thème en -an ; il est simplement emprunté aux thèmes en -a[1]. Les composés artificiels tels que priyapańćānas (Benfey, Vollst. Gr., § 767) n’ont aucune valeur linguistique, et les formes pańćábhis, -bhyas, -su ne prouvent rien ni dans un sens ni dans l’autre[2]. Ainsi rien ne fait supposer l’existence d’une nasale.

Les adjectifs ordinaux de ce nombre sont :

gr. πέμπτος, lat. quin(c)tus, (got. fimfta), lit. pènktas, paléosl. pętŭ, zd. puχδa, skr. véd. pańćathá.

Le nombre cardinal n’ayant pas la nasale finale, ces formations sont conformes à la règle établie plus haut. Si, à côté de pańćathá, le sanskrit – mais le sanskrit seul – nous montre déjà dans le Véda la forme pańćamá, c’est que, pour nous servir de la formule commode de M. Havet, étant donnés páńća et le couple saptá-saptamá, ou bien dáça-daçamá etc., l’Hindou en tira tout naturellement la quatrième proportionnelle : pańćamá.[3]

M. Ascoli, dans son explication du suftixe grec -τατο, prend pour point de départ les adjectifs ordinaux ἔνατος et δέκατος. Notre thèse ne nous force point à abandonner la théorie de M. Ascoli ; il suffit d’ajouter une phase à l’évolution qu’il a décrite et de dire que ἔνατος, δέκατος sont eux-mêmes formés sur sol grec à l’image de τρίτος, τέταρτος, πέμπτος. ἕκτος[4].

La valeur phonétique primitive de la terminaison -ama des formes sanskrites, et de ce qui lui correspond dans les autres langues, est examinée ailleurs.

Il n’était pas inutile pour la suite de cette étude d’accentuer le fait, assez généralement reconnu, que la nasale finale des noms de nombre est un m, non pas un n. La valeur morphologique de cet m n’est du reste pas connue, et en le plaçant provisoirement sous la rubrique syllabes suffixales nous n’entendons en aucune manière trancher cette obscure question.

  1. Le point de départ de tous ces génitifs de noms de nombre en -ānām paraît être trayāṇā́m, lequel dérive de trayá-, et non de trí-. L’accentuation s’est dirigée sur celle des autres noms de nombre. Le zend θrayãm qui permet de supposer *θrayanãm (cf. vehrkãm, vehrkanãm), atteste l’ancienneté de ce génitif anormal.
  2. Ces mêmes formes dont le témoignage est nul dans la question de savoir si le nom de nombre cinq a ou non une nasale finale, ne pèsent naturellement pas davantage dans la balance, lorsqu’il s’agit de savoir si la nasale de náva, dáça etc. – dont l’existence n’est pas douteuse – est un n ou un m.
  3. On trouve inversement saptátha, zd. haptaδa, à côté de saptamá. En présence de l’accord à peu près unanime des langues congénères, y compris le grec qui a cependant une préférence bien marquée pour le suff. -το, on ne prétendra point que c’est là la forme la plus ancienne.
  4. Nous n’avons malheureusement pas réussi à nous procurer un autre travail de M. Ascoli qui a plus directement rapport aux noms de nombre, intitulé : Di un gruppo di desinenze Indo-Europee.