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SUR UN POINT DE LA PHONÉTIQUE DES CONSONNES EN INDO-EUROPÉEN.


Si d’une part ce résultat a encore besoin de confirmation, en revanche il est évident qu’il ne saurait être infirmé par le seul fait de l’existence du type contradictoire, gr. ἔμ-παστρον, de πλατ-, v. norr, fóstr (fœđa), etc. Non seulement le type -πλαστρον comporte une facile explication par analogie[1], mais il était le seul auquel la langue pût recourir pour ses formations nouvelles. L’ancien type setto- ou setro-, de sed-, ne pouvait être compris ; il était condamné à s’isoler de plus en plus et à demeurer stérile. Il n’a même dû qu’à un pur hasard d’être conservé çà et là, et c’est pourquoi le nombre infime de nos exemples ne saurait nous être opposé comme une objection sérieuse [2]. Deux formes helléniques viennent d’ailleurs à l’appui du témoignage de sëdal:

1° Jusqu’à présent, le mot μέτρον ne pouvait être attribué qu’à la racine mē-, mais par plusieurs côtés cette étymologie est des moins satisfaisantes. La comparaison des mots en -tro en général et du skr. mtram en particulier fait attendre *μῆτρον, Il faudrait donc admettre quelque remaniement postérieur? Mais le mot se trouve dans les plus mauvaises conditions pour en supposer un, puisque la racine -μη, -με est absolument morte en grec. En d’autres termes, il y a contradiction entre l’aspect hystérogène de la formation μέτρον et l’isolement de cette formation, qui exclut l’idée de modi- fications récentes. Quant à croire avec M. Brugmann que les formes divergentes du sanskrit et du grec sont toutes deux indo-européennes[3], il faudrait au moins pour cela que μέτρον fût oxyton (cf. δαιτρόν, λουτρόν).

Rapportée à med-, au contraire, la formation μέτρον est parfaitement simple et claire. La racine med- «mesurer», bien connue en germanique (got. mitan), s’affirme en latin dans modus, modius, en grec même dans μέδιμνος (à défaut de μέδοναι, qui a pris un sens figuré). Métrom = med + tro-m est le pendant de sétlom = sed + tlo-m. L’ε de μέτρον n’est pas celui de ϑετός, mais celui de

  1. D’autant plus facile qu’il existe, comme on sait, dans les langues d’Europe un suffixe -stro parti des racines en -s (monstrum, etc.).
  2. Les formes réputées régulières (où occl. dentale + tr semble donner str) ne sont pas elles-mêmes si nombreuses qu’on pourrait le croire. En grec, après ἔμπλαστρον qui vient d’être cité, je ne vois plus que μαστροί = μαστῆρες (Hésychius), à moins d’accueillir par exemple κονίστρα sous prétexte qu’il est flanqué de κονίζω et tout ce qui se présente dans des conditions aussi douteuses.
  3. Journal de Kuhn, XXVII, 198. Du pràcrit mettaṃ, l’auteur infère un skr. *mitram = μέτρον. Il resterait à savoir si mettaṃ ne représente pas plutôt le mot qui figure dans ni-mittam et qui n’appartient pas à la racine de mātram.