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SUR UN POINT DE LA PHONÉTIQUE DES CONSONNES EN INDO-EUROPÉEN.

homérique[1]. Ce qui est, en grec, μέ | τρον ou μέτ | ρον signifie exclusivement met | rom pour l’indo-européen. Cette observation donne du coup la clef du phénomène. La réduction des deux t de met-trom, incompréhensible en supposant me | trom, s’explique le plus simplement du monde des qu’on prononce à l’indo-européenne : met | rom.

Telle est en effet l’affinité du groupe me | tro avec celui que nous écrivons mettro, qu’il n’existe entre ces deux expressions phonétiques aucune différence effective et valable. Nous mettons en fait qu’il est impossible à une occlusive « double » devant r, l, m, n, y, w de se distinguer de l’occlusive simple du moment que celle-ci est implosive. Qui dit mettra dit exactement autant que met | ro, et vice versa. Ainsi se résout le paradoxe de tlr indo-européen traité comme tr, si peu téméraire, comme on voit, qu’il ne dit rien de plus que ce qui résulte déjà de la définition des groupes en question.

Tout le monde, il est vrai, ne sera peut-être pas convaincu d’avance de la justesse de la synonymie phonétique t | r = tlr, et, comme c’est sur ce point que toute la question se concentre en dernière analyse, il est nécessaire d’entrer ici dans quelque détail. Trois causes concourent à créer l’équivalence t | r = tlr, :

1° La première syllabe est identique dans les deux types : la seconde ne diffère que par la présence ou l’absence du t d’explosion. Or, la suppression totale du bruit explosif n’est jamais possible, par le fait, en telle-position. Met | ro est une figuration conventionnelle pour ce qui est plus exactement met | tro, attendu que la rupture de l’occlusion, nécessitée par la liquide, se traduira toujours, si furtive soit-elle, par un bruit perceptible.
2° Si met | ro, comme on vient de le dire, est toujours légèrement affecté d’un t double, il faut remarquer d’un autre côté que le t double, même voulu (type mettro), ne peut jamais dans cette position éclater d’une manière très franche, la partie explosive se perdant plus ou moins dans le bruit de la consonne qui suit[2]. Ainsi les deux groupes, en tendant à se confondre, s’épargnent mutuellement la moitié du chemin.
  1. Nous renvoyons à l’important article de M. Louis Havet, Les syllabes μακραὶ ϑέσει, dans ces Mémoires, IV, 21 seq. Cf. son Cours de métrque, §§ 36 et 37.
  2. Au point de vue mécanique également, l’r (qui est une demi-fermeture) ne permet pas une explosion du t aussi forte que devant voyelle.