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phénomènes anaptyctiques postérieurs.

ἐχθαίρω dérive peut-être du thème ἐχθρό, mais les lexicographes donnent aussi un neutre ἔχθαρ. – En revanche l’éolique offre : Πέρραμος = Πρίαμος, ἀλλότερρος = ἀλλότριος, μέτερρος = μέτριος, κόπερρα = κόπρια (Ahrens I 55) ; ces formes sont bien dans le caractère du dialecte : elles ont été provoquées par le passage de l’i à la spirante jod – d’où aussi φθέρρω, κτέννω – qui changea Πρίαμος en *Πρϳαμος. C’est alors que la liquide développa devant elle une voyelle de soutien, qui serait certainement un α dans tout autre dialecte, mais à laquelle l’éolien donne la teinte ε. Dans des conditions autres, ἅμ-ᾱ̆ est, suivant une explication que M. Brugmann m’autorise à communiquer, sorti de *σμ-α qui est l’instrumental de εἷς « un » (thème sam-), tandis que μία pour *σμ-ία (Curtius, Grdz. 395) s’est passé du soutien vocalique.

On peut ramener la prépos. ἄνευ à *σνευ qui serait le locatif de snu « dos » ; le Véda a un loc. sā́no qui diffère seulement en ce qu’il vient du thème fort. Pour le sens cf. νόσφι (Grdz. 320). On trouve du reste en sanskrit : sanutár « loin », sánutya « éloigné » qui semblent être parents de snu ; sanutár est certainement pour snutár ; cf. sanúbhis s. v. snú chez Grassmann. Ce savant fait aussi de sanitúr un adverbe voisin de sanutár ; dans ce cas le got. sundro nous donnerait l’équivalent européen. Cf. enfin le latin sine.

La 1re pers. du pl. ἐλύσαμεν est pour *ἐλυσμεν. Cette forme est avec ἔλυσα, ἔλυσαν et le part. λύσας la base sur laquelle s’est édifié le reste de l’aoriste en -σα.

L’aor. ἔκτανον de κτεν appartient à la même formation que ἔ-σχ-ον (p. 10 seq.). Il doit son α à l’accumulation des consonnes dans *ἐ-κτν-ον. L’α de ἔδραμον a la même origine, à moins, ce qui revient assez au même, que ρα ne représente et qu’on ne doive assimiler ἔδραμον à ἔτραπον. – σπαρέσθαι, s’il existe (Curtius Verb. II 19), remonte semblablement à *σπρέσθαι.[1]

  1. Les aoristes du passif en -θη et en -η sont curieux, en ce sens que la racine prend chez eux la forme réduite, et cela avec une régularité que la date récente de ces formations ne faisait pas attendre. Exemples : ἐτάθην, ἐτάρφθην ; ἐκλάπην, ἐδράκην. A l’époque où ces aoristes prirent naissance, non seulement une racine δερκ avait perdu la faculté de devenir δκ, mais il n’est même plus question d’existence propre des racines ; leur vocalisme est donc emprunté à d’autres thèmes verbaux (par exemple l’aoriste thématique actif, le parfait moyen), et il nous apprend seulement que le domaine des liquides et nasales sonantes était autrefois fort étendu. Néanmoins certaines formes de l’aor. en restent inexpliquées : ce sont celles comme ἐάλην, ἐδάρην, où αλ, αρ est suivi d’une voyelle. Ces formes, comme nous venons de voir, se présentent et se justifient