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la mort en croupe

Mon enfance défunte ayant autour des doigts
Le chapelet luisant de mes yeux d’autrefois.
Les champs en frais troupeaux groupaient leurs primevères,
Les fenêtres s’ouvraient sur des campagnes claires
Comme de doux tableaux de branches sur du ciel ;
Les abeilles venaient avec un cri de miel
Mettre un baume de rose au plus vif des blessures…
Mon pied a-t-il tenu dans de telles chaussures ?
Je m’étonne d’avoir en mon cœur d’à présent
Conservé ces bouquets fanés, ces souliers blancs,
Comme si ma nature avec le plomb de l’âge
Avait de ses émois banni l’enfantillage ;
Comme si je marchais d’un geste audacieux
Sous les nuages noirs que me versent les cieux,
Moi qui vais au travers des larmoyantes brumes
Le front appesanti d’un chapeau d’amertume.
Coquilles d’escargots où j’entrai si souvent,
Le dos rond, l’œil farouche et la tête en avant,
Voiles où j’ai tremblé tous mes frissons de gêne,
Je vous revêts encore, humble défroque humaine ;
Et, n’est-ce pas surtout pour vos pleurs inconnus,
Subtils déchirements, chagrins mièvres et nus,