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tandis que la terre tourne

À guetter dans les champs les bergers affolants,
Au temps que le vieux chêne est riche de ses glands,
Au temps que tes brebis encore au premier âge
Préparent pour janvier le travail d’agnelage ?
Que fais-tu d’éperler des chansons jusqu’au soir
Sans que la rousse lune éclose dans le noir
Ni l’augural corbeau ni la fauve chouette
Éveillent dans ton âme une angoisse muette ?
Ne m’as-tu jamais vue au détour d’un chemin
Compter les osselets clapotants de mes mains
Dans un rire infini qui monte jusqu’aux tempes ?
M’as-tu vue entraînant sur les sombres estampes
Les évêques mitrés, les nonnes et les rois ?
Touche mon grand squelette et sens comme il est froid,
Sonde mes yeux de nuit dans le trou des orbites,
Vois mon crâne évidé que râpent les termites,
Mon livide thorax où l’horreur se fait jour ;
Vois ce bassin osseux qui balança l’amour.
J’eus des chairs comme toi, des seins, un cœur avide,
Et je branle sur pied ainsi qu’un chaume vide.
Folâtre Mélitta qui cours dans ton matin,
Ni les baisers du sang âpres comme le thym,