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RÉVÉLATIONS.

ce qui m’arrive et vous vous associeriez à cette félicité prochaine. Mon départ est, en effet, indiscutable ; vous l’avez deviné, je veux partir sans retard. Il me faut revoir ma famille et mon pays. Existe-t-il un amour plus pur, et par ce fait, plus fort que celui qui me possède ? »

À cette véhémente sortie de Liette, Harris ne sut que répondre ; il en fut accablé. Le profond et très tendre attachement qu’il éprouvait pour elle datait de loin. Il avait pris naissance en son cœur, alors qu’il était devenu son guide intellectuel.

À la mort d’Edith, il avait compris qu’il appartenait à tout jamais à celle dont il avait façonné le cœur et l’esprit selon son âme et ses idées, et qu’il n’aurait désormais jamais d’autre compagne.

La généreuse et vive petite Française s’était éloignée d’instinct des froideurs aigres et égoïstes de sa mère adoptive, mais au contact de la noble et franche nature du jeune Irlandais, elle était peu à peu sortie de son amer isolement.

Elle l’avait d’abord respecté comme le maître ; puis nature ardente et tendre, elle s’était, par la suite, attachée à lui comme à l’unique ami, le seul soutien qu’elle se connût dans ce pays maudit. Et cependant, trop éprise de son rêve dl’enfant perdue, elle ne vit pas qu’en elle sommeillait pour lui un plus intime sentiment.

Ce fut d’un ton de doux reproche qu’elle lui dit :

« Harris ! n’ai-je pas mérité la joie infinie qui m’attend ? Voilà bien des années que je donne à ma destinée la monnaie d’amertumes qui doit payer mon grand bonheur. N’est-ce pas mon bien acheté par mes larmes ? ô mes parents ! nul être ne m’empêchera d’aller vous rejoindre !

« Vous ne comprenez done pas, Harris ! quelle joie j’éprouve à la pensée de retourner dans ma patrie, de reprendre ma place dans la maison où j’ai reçu le jour ! revivre enfin, comme autrefois, au milieu des sourires et des caresses des miens : Le soleil, le gai soleil que j’ai toujours aimé, éclairant dès lors ma vie, ne sera-t-il pas plus brillant que sur cette terre d’exil ? et puis, mourir là-bas, pour dormir étendue près des êtres chéris, est pour moi une con-