Page:Savary - La Tour de la lanterne (= Les Malheurs de Liette) 2e édition - 1913.pdf/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
LA TOUR DE LA LANTERNE.

« Et, sous l’empire d’une exaltation sans bornes, je’m’enfuis et j’errai jusqu’au soir au hord de l’Océan, plongóe dans de délicieux retours vers la ville chérie où je veux aller sans retard.

« Alors, Harris, je me revis enfant ; petite fille chérie et bien aimée de tous, Je reconnus ma chère ville natale avec sa rive ensoleillée, ses bassins, ses vieilles tours, les remparts, les porches, le port, les bateaux… et la maison de mon bon grand-père, l’imprimerie, avec tous les « typos » le bonnet de papier sur l’oreille, la librairie et les clients, les amis et mon parrain ! mon cher parrain ! la cause indirecte, mais bien heureuse du retour de ma mémoire vers ce passé chéri. Puis, je revis la propriété de ma famille ! les Gerbies ! avec tante Minette, grand-papa, l’oncle Rigobert et la petite Botte, tous enfant et au-dessus de ces chers souvenirs, mon bon grand-père et ma bien-aimée grand’mère me tendant les bras.

« Que s’est-il passé hier soir ? je ne m’en souviens plus. Mais ce matin, je me retrouve libre, heureuse ; mes souvenirs sont lucides. Je me rappelle le nom de mes parents et tout ce qui m’est arrivé dans ma petite enfance, si choyée par eux jusqu’au jour où survint un étrange accident. En voulant monter sur un bateau, pendant un instant d’inattention de ma bonne, je suis probablement tombée dans la cale du navire qui, a dů m’amener dans ce pays. Pourquoi y suis-je restée ? Il doit y avoir des responsabilités qu’il faudra éclaircir. À présent je ne les cherche pas, tout entière que je suis à la joie de connaître enfin mon identité. Maintenant il faut fuir, Harris, sans hésiter ; il me faut aller retrouver tout ce bonheur perdu. »

Harris n’avait pas interrompu Liette.

« Pardonnez à mon égoisme, lui dit-il, de ne voir qu’une chose dans ce fait miraculeux : la crainte de vous perdre.

« Vous allez incessamment retourner dans votre patrie, et cette pensée tue net la joie que je pouvais partager avec vous. »

Liette ne put supporter la pensée que ce qui faisait son bonheur ne fit pas celui de son ami.

« Hélas ! Harris, lui dit-elle un peu fâchée, vous m’aimez pour vous-même et non pour moi ; autrement vous seriez heureux de