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LA TOUR DE LA LANTERNE.

nouvelles d’Hippolyte. Paraît qu’il a été blessé à la cuisse à la dernière bataille du côté d’Orléans. C’est lui qui l’a écrit, car il est à l’hôpital de cette ville.

— C’est tout ce qu’il y a de nouveau ? demanda la métayère.

— C’est-y pas assez, o tout ! répondit le gamin. Pauvre Buchette ! ajouta-t-il, en caressant la bête attelée, t’es tout en nage ! t’es quasiment fourbue !

— Oui, va la bouchonner, Zidor, et donne-lui double ration. Le foin est rare à La Rochelle ; à trois lieues à la ronde on n’en trouve pas un brin, car tout est réquisitionné pour les troupes.

— Ah ! mon pauvre Polyte, mon pauvre Polyte ! reprit maîtresse Chàlin en soupirant, encore un malheur par là. C’est le fils de mon frère, dit-elle, en se tournant vers Liette. Un beau garçon de vingt-trois ans, mon filleul. Je vous dis, c’est affreux le sort de notre jeunesse ! et la terre qui aurait si tant besoin d’être retournée ! Y aura plus de bras pour cet ouvrage, quand tout sera finit »

Maîtresse Châlin entra dans la maison. Par discrétion Liette ne la suivit pas ; elle resta dans la cour où quelques minutes plus tard la fermière vint la rejoindre.

« Avant la nuit, dit-elle, je vais vous faire visiter ma ferme. Elle ajouta avec un petit sentiment d’orgueil : nous allons voir les granges, les étables, les celliers. »

En parcourant cette métairie, dirigée par cette femme travailleuse, on sentait que bêtes et gens obéissaient à une volonté sage et entendue. Bien que fort triste, Liette parut s’intéresser aux bêtes et aux choses.

De l’ordre partout, jusque dans les étables où ruminaient attachés à leur longe trois vaches aux mamelles rebondies et six beaux bœufs roux sur leur litière fraîche ; ils beuglèrent sourdement, lorsque maîtresse Chàlin, qu’ils reconnurent sans doute, passa derrière eux avec Liette.

Oh ! comme elle se reprenait à aimer cette terre de France, à laquelle son cœur était resté si solidement rivé, et qu’elle foulait enfin aujourd’hui de ses pieds las et meurtris comme son âme !