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ESPOIR ET DÉCEPTION.

de bonne heure, cherchait, ce soir, tous les moyens et les plus légers motifs, pour retarder l’instant du départ.

Très loquace à son ordinaire, il fut pendant la première demi-heure sans desserrer les dents.

La pauvre vieille cocotte blanche était morte depuis longtemps, mais le cheval, son successeur, n’allait guère plus vite qu’elle, et le songeur Rouillard manifestait une prédilection marquée pour cette façon de voyager au pas. Parcourir ainsi les kilomètres, en promenade, tout doucement comme à l’enterrement, lui paraissait très naturel.

Liette s’inquiéta de cette allure somnolente et de ce mutisme, et pour le faire cesser, elle posa délibérément quelques questions au vieux serviteur.

Par. bribes de phrases, elle sut que sa grand’mère venait d’être sérieusement malade à Amélie-les-Bains ; qu’elle était attendue prochainement aux Gerbies, ainsi que M. et Mme Verlet et leurs deux enfants, Lilette et petit Paul.

Elle apprit ainsi cet accroissement de famille ; elle sut encore que son père était, depuis quelques années, revenu des colonies et attaché au port de Rochefort, mais en ce moment pour quelques jours à Toulon.

Une pensée lui mordit le cœur.

« Est-ce que la tante Minhet et le tonton Rigobert n’habiteraient plus les Gerbies ?

Qui a dit cela ? s’écria violemment Rouillard. Dieu merci pour nous tous, ils y sont toujours ! sans eux, que deviendrait-on ? Oui, ils y sont, mais momentanément ils en sont absents. M. Rigobert a pris du service pendant la guerre et a été nommé lieutenant-colonel des mobilisés, car tout le monde, en cet instant, paie sa dette d’amour à la patrie. Il n’y a que les vieux, comme moi, ou les très jeunes qui courent les routes, dit-il, avec mélancolie. Quant à Mme Minhet, qui est allée à La Rochelle pour l’enterrement de M. Leypeumal, elle a profité de ce déplacement pour pousser jusqu’en Vendée chez des amis d’où elle ne reviendra que dans une quinzaine de jours. La famille ne sera au complet aux