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DEUX SINGULIERS CLIENTS.

Un jour, le dénicheur Maufisset ayant aperçu le buron de Beauminois dès son entrée en ville, flairant où il allait, le suivit de loin jusqu’à la librairie.

Il faisait un temps exécrable. Une pluie fine et continue, en retenant les promeneurs sous les porches, les engagea à entrer les uns après les autres chez M. Baude où ils se trouvèrent bientôt assez nombreux.

M. de Beauminois venait ce jour-là revoir une riche et nouvelle édition illustrée des œuvres de Beaumarchais, hélas ! bien trop chère pour sa bourse ; il la feuilletait pour la vingtième fois sans pouvoir se décider à la remettre dans les rayons. Il prenait et reprenait le volume, le regardait longuement, soupirait, l’ouvrait de nouveau, souriait à sa souple reliure, admirait la netteté des caractères d’imprimerie, le satiné du parchemin, la finesse des gravures.

M. Maufisset le regardait faire et semblait écouter M. Paugène, le banquier, qui expliquait à un gros personnage, nouvellement arrivé à La Rochelle, le résultat de la dernière combinaison financière.

La conversation du banquier devait être certainement très intéressante, puisque le docteur Riour, ordinairement pressé par l’heure, M. Leypeumal, le colonel Sapaur paraissaient être tout oreilles.

M. de Beauminois, qui se croyait isolé, ne se faisait pas faute de tourner et de retourner dans ses mains sa présente idole. M. Maufisset ne le perdait pas de vue, pas plus que Liette à laquelle le manège du vieux maniaque plaisait énormément.

Quelle réflexion traversa l’esprit du vieillard ? Il ouvrit son panier, passa la main par l’ouverture, regarda à gauche et à droite, puis le referma pendant que la fillette, encouragée par M. Maufisset, qui lui clignait de l’œil comme à un compère, lui demandait corieusement de sa petite voix flutée :

« Faites voir, je vous prie, M. de Beauminois, ce qu’il y a dans votre panier. »

M. de Beauminois s’entêtant à ne rien écouter, à ne rien mon-