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LA TOUR DE LA LANTERNE.

« Juste devant le petit sentier qui conduit au portillon de M. Maurisseau ; et il ajouta pour donner plus de valeur à son érudition topographique : À cet endroit, il y a trente-sept ans, se trouvait un tas de cailloux sur lequel ma voiture a failli verser, le jour de la Saint-Jean, au retour de la noce de M. Antoine Baude, le cousin de Monsieur. »

Et partant de ce tas de cailloux, il en vint à conter ce qu’étaient M. Antoine Baude, sa femme, ses enfants, décrivit le pays où il il était notaire, là-bas vers Saint-Aiguan, etc.

De fil en aiguille on arrivait avec les propos de Rouillard, qui avait la mémoire des détails comme tous les illettrés, à faire la route beaucoup plus vite qu’on ne l’aurait pensé dans ce pays si triste, si isolé, rempli de marais salants et de marais gâts, où paissaient des chevaux maigres et efflanqués.

Liette, il est vrai, n’avait pas encore très développé l’amour de la nature. Que le paysage fût verdoyant ou pelé, cela lui importait peu. Pour l’instant, elle écoutait Rouillard, tout en admirant sa blouse qui s’enflait démesurément au vent, et donnait par derrière au bonhomme le très singulier aspect d’un melon cantaloup.

Au bout d’une heure, la voiture s’engagea dans un sentier à l’extrémité duquel se dresse une petite colline qu’il fallut gravir au pas, et le décor du pays changea complètement.

La voiture roula alors sur une jolie route, plantée de chaque côté de longs et gros peupliers, dont le bruissement des feuilles pouvait faire croire au voisinage de la mer.

La pauvre vieille jument gravissait les côtes de cette route accidentée d’un pas légèrement paresseux.

Encouragée par les paroles amicales de Rouillard, elle semblait bien vouloir, par instant, prendre de bonnes résolutions ; mais par tempérament elle retombait dans sa somnolence.

« Allons, ma cocotte… allons !

— Va, ma vieille !… te presse pas, boune bête ; j’arriverons bien ce souer, pardienne !… »

Cocotte devait être de cet avis ; elle ne se pressait pas, en prenait