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LA MAISON DE FAMILLE.

tique ; elle lui affirma qu’elle habiterait la campagne avec plaisir. si son mari y faisait ses affaires, et même que son intelligence cultivée lui serait trés utile pour modifier certaines routines dans le rendement des Gerbies.

Grand-papa Baude ne comprit ce raisonnement, plein de sagesse, que parce qu’il venait d’une femme qu’il adorait. Il vint donc à la Voirette, se fit agriculteur, devint éleveur, gagna de l’argent, en acquérant dans son pays l’estime de tous, acquisition qui devait lui être bien sensible dans sa vieillesse. Il eut de nombreux enfants, tous honnêtes gens ; et, à l’époque que nous relatons, il lui en restait encore cinq.

Les journées passaient assez vite dans cette belle propriété où chacun avait son ouvrage tracé. Petits et grands s’occupaient tout le long du jour, non à causer, les deux mains dans les poches, comme Liette l’avait vu faire aux habitués de la librairie, ou bien les deux poings sur les hanches, comme le faisaient encore les bonnes et les commères à la fontaine, mais, presque silencieux, sans se presser, entièrement à l’ouvrage que leur indiquait le maître : tonton Rigobert, le troisième fils de grand-papa Baude.

Tonton Rigobert n’était plus un jeune homme. Quelques cheveux blancs se mêlaient aux épais cheveux noirs qui ornaient sa tête. Grand, fort et robuste, il remplaçait maintenant le vieillard, qui ne pouvait plus, en raison de son grand âge, être debout chaque matin à quatre heures, pour surveiller les travailleurs, soit dans les champs, soit dans les chais.

Tonton Rigobert avait l’allure décidée et martiale d’un militaire ; il savait commander sans hésitation, et tout marchait, sous sa direction, au doigt et à l’œil. Il avait eu autrefois, de graves déboires. Destiné par goût et par tempérament à la vie militaire, il avait franchi assez rapidement, tous les grades inférieurs, lorsqu’un malheureux duel mortel avec le fils d’un colonel avait brisé son avenir.

Il y avait longtemps que la chose était arrivée ; mais, aux Gerbies, on en parlait encore mystérieusement comme d’une histoire d’hier.