Page:Savine - L Assassinat de la duchesse de Praslin.djvu/178

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pris de l’arsenic ? — Oui, avoua Praslin en relevant la tête. — Qui vous a procuré cet arsenic ? — Personne. — Comment cela ? Vous l’avez acheté vous-même chez un pharmacien ? — Je l’ai apporté de Praslin. » Il y eut alors un moment de silence. Puis, le duc Decazes reprit : « Ce serait le moment pour vous, pour votre nom, pour votre famille, pour votre mémoire, pour vos enfants, de parler. S’empoisonner, c’est avouer. Il ne tombe pas sous le sens qu’un innocent, au moment où ses neuf enfants sont privés de leur mère, songe aussi à les priver de leur père. Vous êtes donc coupable ? » Praslin garda le silence. « — Au moins déplorez-vous votre crime ? Je vous en conjure, dites si vous le déplorez. » Le duc leva au ciel ses yeux et ses mains et dit avec une expression indicible d’angoisse. « Si je le déplore ! — Alors avouez… Est-ce que vous ne voulez pas voir le Chancelier ? » Praslin faisant un effort, dit : « Je suis prêt. — Eh bien, reprend le duc, je vais le prévenir. — Non, conclut Praslin après un silence, je suis trop faible aujourd’hui. Demain, dites-lui de venir demain[1]. »

Decazes n’insiste pas et sous la dictée du moribond, il écrit quelques lignes. « Ce qui m’arrive dans ce moment, vient des bontés du ciel pour moi. Cependant je puis dire combien je regrette vivement de ne pouvoir voir mes enfants avant mon dernier soupir, et recommander à mes filles Louise et Berthe le reste de leur famille et aux autres l’obéissance à ces deux-là. Je n’ai pas le temps de parler d’arrangements de fortune. Mais je laisse les objets mobiliers à Louise et à Berthe en les priant de les partager avec la raison que je leur connais. » Sur une autre feuille, Decazes écrit : « Je sens mes forces s’en aller tout à fait. Je suis heureux maintenant de laisser mes enfants à ma bonne vieille mère. Je les engage, quoiqu’il m’en coûte, à ne pas trop se fier aux conseils de leur grand-père et de leur oncle Sébastiani, ainsi que leur oncle Coigny… Mes idées n’y sont plus… J’ai laissé dans le portefeuille de

  1. Moniteur, 2 septembre 1847 (procès-verbal de la séance secrète du 30 août.) — Victor Hugo, Choses vues, 232.