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teur gérant ; mais, au lieu de se laisser absorber par une tache purement mécanique, ce fut au sein même de ces bureaux qu’il s’identifia avec la science dont il devait être l’une des gloires. Clavière possédait un exemplaire de la Richesse des Nations d’Adam Smith, qu’aucune traduction n’avait encore fait connaître à la France. Sur son conseil, Jean-Baptiste Say lut le livre, ce fut pour lui une révélation tout entière : il était économiste. Bientôt il en fit venir un exemplaire de Londres, l’étudia, l’annota et dès ce moment ne s’en sépara plus.

La science était cependant encore trop sérieuse pour son âge, elle devait momentanément laisser place encore à des goûts littéraires, surtout à celui du théâtre, et le jeune économiste aimait à s’exercer lui-même aux jeux de la scène. Il ne pouvait manquer non plus de se laisser bientôt distraire par la gravité des événements qui se préparaient, et par le mouvement de régénération sociale qui électrisait toutes les âmes. Son premier essai littéraire fut une brochure publiée en 1789 en faveur de la liberté de la Presse ; il avait alors vingt-deux ans, et s’il a jugé plus tard avec quelque sévérité cet écrit auquel il reprochait une enflure et un mauvais goût qu’on doit attribuer à sa jeunesse et à l’esprit du temps ; on y trouve du moins un amour très-sincère de la liberté et un désir du bien qui ne se sont jamais démentis. Employé ensuite dans les bureaux du Courrier de Provence que publiait Mirabeau, il ne faisait guère encore que recevoir les abonnements, comme il l’a dit lui-même plus tard[1], mais il se liait dès lors avec quelques-uns des hommes de mérite de l’époque et mûrissait son esprit au contact de leur intelligence.

L’invasion du territoire national par les forces coalisées des armées étrangères appelant les jeunes Français aux armes, Jean-Baptiste Say fit, comme volontaire, la campagne de 1792, en Champagne ; il s’était joint à quelques artistes et littérateurs qui avaient formé une compagnie des arts. Isabey, Alexandre Du val, Lejeune, devenu depuis général sans cependant renoncer aux pinceaux, étaient dans les mêmes rangs.

À peine de retour de l’armée, le 25 mai 1793, il épousa Mlle Deloche, fille d’un ancien avocat aux conseils ; cette union, qui devait être pour lui une source constante de félicité et devait lui procurer ce calme de l’âme sans lequel il lui eût été souvent difficile de supporter les traverses de la vie, fut contractée au plus fort de la terreur, au moment même où la petite fortune des deux familles allait se trouver compromise et presque emportée par la dépréciation du papier-monnaie. Il semble qu’aux époques de grandes commotions politiques, la nature redouble d’efforts et donne à l’homme un courage plus énergique, le soutient d’une espérance plus vive dans l’avenir, et lui fait affronter plus résolument les difficultés de la vie. On se marie alors

  1. Lettre à Et. Dumont, pag. 556 de ce volume.