Page:Say - Œuvres diverses.djvu/219

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égorger, au rapport de Diodore, dix mille gladiateurs et onze mille animaux !

Voilà ce qu’était la société chez les anciens ; et lorsque les peuples, après s’être dévorés mutuellement, jouissaient par hasard, ou par épuisement, de quelque repos, il fallait chaque rois que la civilisation recommençât et s’étendit avec de lents progrès, sans solidité comme sans garanties. Si quelques instants de prospérité se font apercevoir de loin eu loin, comme pour nous consoler de l’histoire, nous ignorons à quel prix ils ont été achetés ; nous ne tardons pas à acquérir la certitude qu’on n’a pas su les consolider, et nous passons à notre aise, en tournant quelques feuillets, sur de longs siècles de déclin, et par conséquent de misères cruellement savourées par les hommes de l’époque, par leurs femmes, par leurs proches.

On assure que les nations peuvent souffrir, mais qu’elles ne meurent pas ; je crois, moi, qu’elles meurent dans une lente agonie. Les peuples de Tyr, d’Athènes, de Rome, ont péri dans de longues souffrances. Ce sont d’autres peuples qui, sous les mêmes noms, ou sous des dénominations nouvelles, ont peuplé les mêmes lieux.

Je ne vous parlerai pas de la barbarie du moyen âge, de l’anarchie féodale, des proscriptions religieuses, de cette universelle férocité où le faible était toujours opprimé, sans que le dominateur en fût plus heureux ; mais que trouverons-nous dans des temps où l’on s’est prétendu plus civilisé ? Des gouvernements et des peuples tout à fait ignorants de leurs vrais intérêts, se persécutant pour des dogmes insignifiants ou absurdes, guerroyant par jalousie, et dans la persuasion non fondée, que la prospérité d’une autre nation est un obstacle à leur prospérité. On s’est fait la guerre pour une ville, pour une province, pour s’arracher une branche de commerce ; on l’a faite ensuite pour se disputer des colonies ; puis, pour les tenir sous le joug ; toujours la guerre enfin… tandis que les hommes n’ont qu’à gagner à des communications amicales ; qu’une prépondérance forcée n’est avantageuse pour personne, pas même pour ceux qui l’exercent ; que les discordes sont fécondes en malheurs de toutes sortes, sans aucuns dédommagements, si ce n’est une vaine gloire et quelques dépouilles bien chétives, quand on les compare aux trésors légitimes qu’un peuple peut tirer de la paix, lorsqu’elle n’est pas achetée par des bassesses : tel est le spectacle que nous présente le monde sous l’empire des préjugés anciens.