Page:Say - Œuvres diverses.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et quelqu’utile que soit l’art de bien faire ou de bien conduire le feu, pense-t-on qu’il n’y ait pas d’autre art aussi généralement utile et beaucoup plus important pour le bonheur ? L’homme, quelle que soit la profession qu’il ait embrassée, n’a-t-il pas des relations continuelles avec ses semblables ? Et croit-on que pour régler sa conduite, les exhortations et les homélies soient beaucoup plus efficaces que la connaissance de la vraie nature des choses morales, des véritables intérêts de l’homme ? Et si l’on prouve que les misères, l’abrutissement, les malheurs de l’homme en société tiennent à une mauvaise organisation du corps politique, et que la mauvaise organisation du corps politique tient uniquement à l’ignorance des peuples sur la vraie nature des choses relativement à l’ordre social, ne faudra-t-il pas convenir que l’on n’est pas entièrement civilisé aussi longtemps chaque que individu, ou même seulement chaque chef de famille, ne connaît pas, du moins dans ses bases fondamentales, la vraie nature des choses morales et politiques ?

Pour s’élever à cette connaissance, il faut avoir perfectionné l’instrument avec lequel on conçoit, on compare, on réfléchit ; ou, selon l’expression de Condillac, avoir perfectionné sa faculté de sentir. De là, la nécessité de la culture générale de l’esprit ; jusqu’à ce point du moins qui suffit pour admettre les premières notions des choses sociales.

Sous ce rapport les études purement littéraires donnent des lumières non pas tant à raison de ce qu’elles enseignent, que parce qu’elles perfectionnent l’entendement ; et c’est ce qui leur donne un degré d’importance fort supérieur à celui des autres beaux-arts. Sans cela je ne mettrais la poésie que d’un degré au-dessus de la musique et de la peinture. On a bien dit que la poésie était le premier des beaux-arts, mais faute de s’être rendu compte du pourquoi, on n’a pas vu combien le second des beaux-arts, quel qu’il soit, est au-dessous du premier.

Toutefois il ne faut pas s’exagérer l’importance des études littéraires. Si l’on fait abstraction des jouissances de l’esprit et de l’âme qu’elles procurent ainsi que les autres arts libéraux, elles ne sont qu’un instrument ; elles, ne sont, de même que la lecture dont on peut les regarder comme le développement, qu’un moyen de communication des idées, un moyen pour tous les hommes, de se rendre propres les pensées et les