Page:Say - Œuvres diverses.djvu/310

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être de même plus ou moins expert dans l’art de bâtir, dans la menuiserie, les étoffes, la teinture, et si l’on veut étendre plus loin l’observation, dans les beaux-arts, dans les sciences, dans l’art social lui-même, lorsqu’on sait plus ou moins exactement le but et les moyens de chacun d’eux. On est au contraire dans la barbarie par rapport aux arts qu’on ignore. La barbarie est complète si on les ignore tous, ou si l’on ne s’en forme que des idées fausses, des idées contraires à la vraie nature de chaque chose.

On voit que la civilisation et les lumières se confondent et qu’il est impossible de se faire une idée d’un État civilisé sans lumières, ou d’un État éclairé sans civilisation.

Mais faut-il, pour être parfaitement civilisé, que chaque homme soit instruit de tout, qu’il devienne une encyclopédie ambulante ? oh ! non. Ce degré d’instruction qui rendrait chimérique la parfaite civilisation, est heureusement inutile. Le développement de la nation serait complet du moment que chaque individu n’aurait que de justes idées des choses dont il est appelé à s’occuper. Un chapelier n’a nul besoin de savoir l’astronomie ; mais il ne faut pas qu’il ait des notions fausses, des préjugés dans les arts et les sciences qui se rattachent à la chapellerie.

On n’imagine pas ce point excessivement difficile à atteindre ; mais a-t-on donné une attention suffisante à cette expression : N’avoir que de justes idées des choses dont il est appelé à s’occuper ? A-t-on réfléchi qu’il y a des arts dont tout le monde, ou presque tout le monde dans une nation, est appelé à s’occuper ? Il n’est personne, du moins dans nos climats, qui, dans plusieurs occasions de sa vie, ne soit dans le cas d’allumer ou d’entretenir du feu. Or est-on bien sûr que parmi les peuples les plus policés, l’art de faire du feu soit généralement entendu, et qu’on suive sur ce point les procédés approuvés par les personnes les plus versées dans les connaissances relatives à la marche du calorique ?

Quant à moi, si, en voyageant, j’entre dans une auberge, et que j’observe que l’on pourrait préparer la même quantité d’aliments et me chauffer tout aussi bien en ne brûlant que la dixième partie de ce qu’on y brûle de combustible, j’en tire l’induction que le pays, ou du moins la province ou je voyage, est loin d’être avancée, ou, si l’on veut éclairée, Ou si l’on veut civilisée, dans ce qui a rapport à l’art de faire du feu. Elle est encore barbare sur ce point.