Page:Say - Œuvres diverses.djvu/647

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retourner sans avoir mon papier, je sentis qu’il n’aurait pas fallu lui prouver qu’il ne faisait pas son devoir, et que j’avais eu tort d’avoir raison. Cependant il se radoucit, ou, pour parler plus exactement, d’un air renfrogné, il me délivra mon acte.

Je sortis, bien en colère contre ce commissaire ; et tout en courant pour faire ma lettre à mon ami, je me disais tout bas à moi-même : Dans une République… se jouer ainsi du temps d’un citoyen !… des personnes qui ne sont que les commis du peuple !… payés par lui ! et autres plaintes de ce genre. Mais afin que mes souffrances ne fussent pas perdues pour mes concitoyens, je me promis bien de vous envoyer une relation de cette entrevue ; je me flattais même que ce commissaire de police, qui d’ailleurs n’est point un méchant homme, pourrait peut-être la lire ; et ce n’est pas impossible, car je crois qu’il va prendre son petit verre au café Procope, en face de l’ancienne comédie Française, où l’on reçoit votre Décade. Je ne lui veux point de mal ; mais je ne serai pas fâché qu’il fasse quelques réflexions sur les devoirs des fonctionnaires publics.


LETTRE DE BONIFACE VÉRIDICK
sur la manie des animaux inutiles.

Nivôse an iii (1794).

Je ne vous écris point, citoyens, pour blâmer le penchant qui nous porte à aimer de certains animaux. Qui peut être insensible à l’attachement du chien, à ses touchantes caresses ? Son amitié n’a point cette susceptibilité qui rend si pénible l’amitié de bien des hommes ; et il ne m’appartient pas d’en médire, à moi, qui suis soumis à ses liens : un gros dogue et moi, nous nous aimons depuis plus de sept ans, sans nous être brouillés qu’une seule fois. C’était au sujet d’une épaule de mouton, qui se réchauffait sur un fourneau, et que Thom (c’est le nom de mon ami), s’appropria mal à propos. Il y eut des torts de part et d’autre, ainsi n’en parlons plus.

Il y a quelques années, je visitais fréquemment une famille étrangère, établie à Paris. Indépendamment de l’agrément que je trouvais dans la société du père et de la mère, gens estimables à tous égards, je faisais grand cas du fils aîné, qui était bien le jeune homme le plus sensé que j’aie connu. Il ne savait peut-être pas autant de choses que bien d’autres, mais il avait des idées justes sur tout ce qu’il savait. La jeune fille, quoiqu’au sortir de l’enfance, n’était pas indigne de figurer parmi des gens raisonnables ; je ne l’ai jamais entendue parler de ses