Page:Say - Œuvres diverses.djvu/648

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ajustements : il est vrai qu’elle n’avait pas eu occasion de jouter avec sa poupée, car son père était d’avis qu’il n’y avait pas de plus mauvaise société pour une petite fille qu’une poupée.

Tous les soirs on prenait du thé ; et l’amabilité de cette famille, la rencontre de deux ou trois amis qui se trouvaient là quelquefois, auraient rendu ces réunions délicieuses, sans un petit désagrément dont je vais vous parler. Il y avait dans cette maison un matou, deux superbes chattes, et de la progéniture en proportion. Depuis le moment qu’on apportait la table à thé, pendant tout le temps qu’on le faisait, et jusqu’à ce qu’il fût emporté, ce chœur de chats, pour avoir sa part du goûter, commençait un concert qui troublait la conversation et rompait les idées. On leur donnait du lait pour les faire taire, mais il n’y en avait pas pour long temps ; et mes gaillards, voyant que leur importunité réussissait si bien, recommençaient de plus belle. Ce n’est pas tout : ces chats étaient fort caressants ; ils cherchaient à monter sur les gens, et s’aidaient quelquefois de leurs griffes plus aiguës que des aiguilles. Impossible de se plaindre : ils étaient les enfants gâtés de la maison ; on leur passait tout. Un jour que je tenais ma tasse à la main, et que je la laissais prudemment refroidir, remuant mon thé avec une cuillère, un de ces maudits animaux ayant pris envie de jouer avec moi, sans me consulter, je sentis, au moment où j’y pensais le moins, une paire de griffes s’enfoncer dans une de mes jambes. Je fais un saut ; ma tasse tombe, se brise ; ma culotte est tachée, mes jambes échaudées ; et me voilà embarrassé, confus, égratigné, brûlé, faisant la figure d’un sot, et réduit à demander pardon à la compagnie de l’avoir fait rire à mes dépens. Cette aventure attiédit beaucoup mon enthousiasme pour cette maison.

Il y a environ deux décades que je voulus acheter une montre : j’allai chez le citoyen Vachon, qui est un horloger en qui j’avais confiance : car je ne saurais point entrer au hasard chez un horloger, non plus que chez un médecin ; comme je sais très-bien que ces deux espèces d’hommes peuvent me faire croire tout ce qu’ils veulent, et me dire que j’ai une obstruction au foie, ou que la roue de rencontre n’engrène plus, sans que je puisse les convaincre du contraire, j’aime être certain, ou au moins me persuader qu’ils ne me trompent point. J’allai donc chez le citoyen Vachon, et je lui aurais infailliblement acheté une montre, si son petit chien m’avait permis de lui expliquer ce que je voulais, et d’entendre ses réponses. Mais ce fut tout à fait impossible. Ce désolant roquet ne cessa d’aboyer après moi. Je voulus d’abord l’effrayer, mais je ne fis qu’augmenter le vacarme : le petit animal s’éloigna, et s’appuyant sur ses deux pattes de devant, se mit dans une colère effroyable. En vain la citoyenne Vachon lui criait : Finissez donc, Jupiter ; il n’en tenait compte. Taisez-vous monsieur, taisez-vous donc. Mon roquet n’y faisait nulle attention, et son acharnement allait croissant, ses yeux