contraire de ce qu’on désire ; et de toutes les fantaisies qui lui viennent, celles qui paraissent lui plaire davantage sont celles qui incommodent le plus les autres.
En arrivant, il est allé s’emparer du violon du fils aîné de la maison ; il l’a posé sur une chaise, et en promenant l’archet de toutes ses forces au-dessus et au-dessous du chevalet, il a tiré des sons qui faisaient mon supplice et celui de toute la société. Le maître de la maison avait beau lui dire : Mon ami, finissez ; vous écorchez nos oreilles ; il allait encore plus fort, et la mère de sourire, avec un geste mignard, comme pour dire : C’est un petit espiègle : il n’y a pas moyen de le mettre à la raison. On ne voulait pas lui ôter son violon pour ne pas mortifier la mère dont on connaissait la faiblesse, et si l’enfant allait vers elle, elle lui faisait mille petites caresses comme pour le consoler des duretés qu’il essuyait.
Lorsqu’on fit semblant de ne plus s’inquiéter de sa musique enragée, il la discontinua, et laissa le violon par terre ; il fit un fouet avec l’archet, et courut tout autour de la chambre en imitant un postillon et en donnant des coups de fouet dans les yeux des convives. En courant ainsi, Fifi, c’est le nom du Monsieur, ayant oublié le violon resté par terre, mit le pied dessus, l’écrasa, et un éclat de l’instrument lui écorcha légèrement la cheville du pied. Aussitôt il jeta des cris effroyables : toute la compagnie fut en rumeur ; la mère le mit sur ses genoux, et s’en prit à tout le monde du mal que s’était fait son fils : Ce pauvre petit ! disait-elle ; voyez un peu ! il s’est horriblement blessé ! Ce vilain violon ! Je le jetterai au feu. Ne te fâche pas, mon enfant. Et tout de suite il fallut que chacun s’évertuât à chercher du baume, des petits morceaux de linge ; et Fifi donnait des coups de pieds à tous ceux qui s’avançaient pour le consoler.
Cet accident n’était rien, et fut bientôt oublié. On se mit à table. Fifi prit sa place le premier. Tout le monde évitait de se mettre à côté de lui ; moi qui ne songeai pas à cette précaution, je fus son voisin, et ne tardai pas à m’en repentir. Il faisait aller ses pieds d’un mouvement continuel, en avant, en arrière, à droite, à gauche, et bientôt mes bas de soie blancs se trouvèrent dans une vilaine condition. J’avais beau retirer mes jambes, il démenait les siennes de manière à m’atteindre au plus loin ; si j’avais le malheur de lui faire quelque représentation, il me répondait par une grimace de singe, et je voyais alors sa mère, qui était en face de nous et qui ne le perdait pas de vue, me faire une mine comme si je m’ingérais mal à propos à corriger son enfant.
Notez, je vous prie, qu’à chaque instant il avait de nouvelles fantaisies. Il voulait avoir tout ce qui paraissait sur la table, faisait du train jusqu’à ce qu’on eut rempli son assiette, mangeait avec les doigts, et de temps en temps appliquait ses mains grasses sur la manche de mon