Page:Say - Œuvres diverses.djvu/656

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sourds. Dans un de ces ébats, l’enfant, animé par le jeu, s’aida, pour fuir son adversaire, de la basque de mon habit, le tira rudement, et le fendit depuis le bas de la taille jusqu’au collet.

Je ne sais qui me retint de fouetter cet indigne petit drôle devant la compagnie. Il fallut tout le respect que m’inspirait la maison où je me trouvais, pour calmer ma colère. Quoique tout le monde par politesse affectât de prendre part à mon accident, cependant j’avais un si drôle d’air, avec mon babil partagé et mon dos à découvert, qu’on avait grand’ peine à conserver son sérieux. De la Barthe fut obligé de m’aller chercher un de ses habits pour que je le misse à la place du mien : mais comme mon ami n’est pas à beaucoup près de ma taille, ce vêtement était pour moi une espèce de pet-en-l’air très-réjouissant pour les autres, et fort peu commode pour moi. La mère se crut obligée de me faire ses excuses ; elle s’approcha de moi, me demanda bien des pardons pour son fils, et ajouta : C’est un fou ; il ne fait que des étourderies ; mais vous ne lui en voulez pas, Monsieur ; il est si gentil !

Ne sachant que répondre, et enchanté de tant de gentillesse, je songeais à m’en aller ; ma patience était à bout. Je redoutais par-dessus tout d’être l’occasion d’une scène humiliante pour la mère, pour l’enfant, et pour mon ami qui n’aurait pas voulu pour un empire que cette dame, à qui il devait une reconnaissance sans bornes, éprouvât chez lui le moindre désagrément. Je me préparais donc à sortir, lorsqu’on me fit observer qu’il faisait encore jour, et que, déguisé comme je l’étais, on courrait après moi dans la rue.

Il fallut prendre mon parti d’attendre que la nuit fût tout à fait venue, et dans l’intervalle j’entamai une discussion politique avec un des convives, à côté de qui je me trouvais assis ; nos opinions étaient fort opposées ; notre conversation avait été longue et animée, lorsque tout à coup on se lève, on se précipite vers moi : Votre toupet, vos cheveux ! Quoi ! qu’est-ce ? Je porte ma main à ma frisure ; elle était toute en feu, et j’étais le dernier à m’en apercevoir. Les girandoles avaient été allumées pendant que je pérorais, et l’enfant maudit, monté sur une chaise, s’amusait depuis un quart d’heure à allumer et à éteindre de petits morceaux de papier, et à exécuter ce qu’il appelait des feux d’artifices. On lui avait ordonné plusieurs fois de descendre ; on lui avait représenté qu’il n’était pas prudent de badiner avec le feu. Rien n’avait réussi. Un morceau de papier enflammé était tombé sur ma coiffure légère, et l’avait incendiée.

Je ne demandai pas mon reste. Je sortis furieux et j’arrivai chez moi avec mes bas tachés, ma veste et ma culotte passés au vin de Bordeaux, mon habit fendu, et mes cheveux brûlés, maudissant de bon cœur les mères qui n’ont pas le courage de s’opposer aux sottises de leurs enfants.

Boniface Véridick.