lui laissaient peu de regrets. C’était la cadette qu’il fallait songer à établir un jour ; et comme elle annonçait peu de ces qualités solides qui sont la plus belle dot que puisse apporter une femme, sa mère gémissait de ne pouvoir lui faire un sort. Elle tournait toutes ses espérances du côté de son fils, qui suivait, à Nantes, la carrière du commerce, et qui avait la certitude d’être bientôt associé dans la maison dont il faisait les affaires. L’aptitude que le jeune homme avait montrée pour ce genre d’occupation, l’aménité de son caractère, l’attachement qu’il avait pour ses sœurs, tout faisait concevoir à madame de Vineuil un heureux avenir, et sa maison était l’asile de ce contentement d’esprit, de cette gaîté naïve que procurent d’ordinaire une fortune médiocre et la conscience d’une âme pure.
Tels étaient les amis que s’était choisis Favelle. Encouragé par les bontés de madame de Vineuil, il venait familièrement chez elle. Il y dînait tout aussi souvent qu’il voulait. Lorsque le temps était beau, il accompagnait la mère et les filles aux Tuileries, ou au Jardin des Plantes. Il semblait être le frère des deux demoiselles, et rappelait à la mère un fils chéri que des projets de fortune tenaient éloigné d’elle.
Favelle, passionné pour les spectacles, comme on l’est assez généralement à son âge, y allait assez souvent avec quelques amis, ou plutôt de simples connaissances qu’il avait faites à Paris. Il suivait principalement les premières représentations ; elles plaisent à beaucoup de personnes, parce qu’à la curiosité que peut exciter un ouvrage entièrement neuf, se joint toujours l’espèce d’intérêt qu’on ne saurait s’empêcher de prendre à l’événement de la représentation : on s’attache au sort des personnes et à celui de la pièce.
Il y a huit jours qu’il alla voir jouer une comédie nouvelle. (Il n’était pas avec la famille de madame de Vineuil ; et, ce qui arrivait rarement, il y avait même trois ou quatre jours qu’il ne l’avait vue.) La représentation fut très-orageuse : une moitié de la salle s’obstinait à trouver la pièce détestable ; l’autre moitié la soutenait avec le même acharnement. Favelle et deux jeunes gens de sa connaissance qui étaient avec lui, avaient pris parti pour les mécontents ; plusieurs autres jeunes gens leurs voisins, étaient pour la pièce. On s’inculpait réciproquement ; les premiers accusaient les autres d’être payés par l’auteur ; ceux-ci leur répondaient en les accusant eux-mêmes de soutenir une cabale. Les sifflets, les paix-là fermaient la bouche aux acteurs et partageaient l’auditoire. Un partisan de la pièce, plus irrité que les autres, s’en prit personnellement à Favelle, et après quelques propos, lui dit : Taisez-vous… Taisez-vous… Je vous ordonne de vous taire… Ce fut un motif pour redoubler le bruit ; les injures, presque les coups, s’en suivirent ; grande rumeur dans la salle. La pièce eut beaucoup de peine à s’achever.