Page:Say - Œuvres diverses.djvu/684

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oreilles, grandes et redressées, sortaient seules de ce réduit, et s’élevaient fièrement vers le ciel.

Demarne aurait fait de l’ensemble du groupe un charmant tableau. Il faut que je lui en parle.

J’ai traversé le bourg afin de revenir le long de la petite rivière d’Yères. Les jolis coteaux ! qu’ils sont riants ! C’est que dans ce canton chaque propriétaire ne cherche pas à s’entourer d’une triste muraille. Rien n’embellit un paysage autant que les haies vives ; j’ajouterais volontiers : rien ne défend mieux les propriétés, quand ces haies sont bonnes, et il est facile de les faire bonnes, surtout à présent que nos naturalistes nous ont procuré une foule d’arbres et d’arbustes propres à cet usage. Qu’on entoure son jardin d’acacias en buissons, ou encore mieux de féviers épineux, Gleditschia triacanthos de Linné, dont les épines dures, aiguës, dirigées en tout sens, ont trois ou quatre pouces de longueur : le plus intrépide voleur n’aura garde d’y pénétrer.

Dans un endroit où la rivière vient s’approcher du chemin, j’ai vu un pêcheur à la ligne. Je lui ai souhaité bien du plaisir et j’ai continué ma route. Ce divertissement ne sera jamais le mien : il faut avoir trop ou trop peu d’esprit, pour s’y plaire.

Vous savez qu’après avoir traversé le village d’Yères, à deux ou trois portées de fusil plus loin, on rencontre l’abbaye, ou plutôt les ruines de l’abbaye d’Yères. C’est une belle chose que les ruines d’un monastère ? Elles inspirent au philosophe des réflexions sur l’empire inévitable du temps, l’edax rerum d’Ovide ; les personnes sensibles y puisent quelques gouttes d’une délicieuse mélancolie ; les âmes dévotes y recueillent des sentiments pieux, et le poète y trouve des sujets d’élégies. Sans être poète, j’y ai rencontré deux ou trois romans, dont je ferai quelque jour présent au public.

Dans ce qui formait le cloître, tout un mur avait été abattu, et un rang de cellules ouvertes d’un côté et suspendues en l’air, dévoilaient aux regards des profanes les mystères de leur intérieur. Debout sur une pierre de taille élevée, j’observais cela comme le diable boîteux observait l’intérieur des maisons de Madrid. Combien de nonnes mon imagination apercevait là-dedans ! et que de choses diverses je leur voyais faire !

Un peu plus loin, sous le toit de l’église, les hirondelles avaient construit une foule de nids ; elles allaient, venaient, par milliers, de leurs nids à la rivière et dans les champs, et de là revenaient à leurs nids, toujours sifflant et glissant sur les airs avec leurs longues ailes aiguës. Mais, ô crime ! des garnements, au détour d’un mur, une longue ramure à la main, en abattaient toujours quelques-unes au passage !

Quand on se promène en observateur, si l’on rencontre des plaisirs, ou rencontre aussi quelquefois des chagrins. Seul, contre tous ces