Page:Say - Œuvres diverses.djvu/685

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mauvais petits sujets, c’est bien en vain que j’aurais voulu les empêcher de continuer leurs jeux barbares. Je me suis approché d’eux cependant ; j’en ai pris un par le bras, et je lui ai dit : — Mon ami, tu ne sais pas ? on emmène ton papa et ta maman. — Le petit garçon m’a regardé entre les deux yeux, comme pour me demander si c’était bien vrai. — Oui, ai-je continué, des soldats sont venus, et, dans ce moment, ils emmènent ton papa et ta maman sans vouloir écouter leurs raisons.

Aussitôt l’enfant s’est mis à courir à toutes jambes du côté du village.

Je me suis ensuite approché d’un autre et je lui ai fait le même conte : On est venu prendre tes parents ; et les tiens aussi, ai-je dit à un troisième ; et les petits garçons de courir.

J’ai voulu en tromper un quatrième ; mais celui-là, un peu plus grand que les autres, n’a pas été ma dupe. — Ce n’est pas vrai, ce que vous dites-là, a-t-il répondu en donnant un coup de coude.

Mais si cela était vrai, ai-je repris ? si on enlevait ton père et ta mère, que ferais-tu ? que deviendrais-tu ?… Tu ne réponds pas. Je le sais bien, moi, ce que tu deviendrais. Personne ne prendrait plus soin de toi, personne ne te donnerait plus des habits et du pain ; tu mourrais de faim.

Le jeune garçon, un peu honteux et ne sachant que me répondre, voulait s’éloigner de moi ; je l’ai arrêté par le bras, je lui ai montré le toit et les nids d’hirondelles. Qu’est-ce qu’il y a là-haut ? — Des nids. — Et dans ces nids ? — Des petits oiseaux. — Oui, c’est vrai, des enfants d’hirondelles ; et si vous abattez leurs pères et leurs mères, que deviendront-ils ?

Là mon jeune homme a voulu encore s’en aller ; mais j’ai répété ma question : « Que deviendront-ils ? — Ils mourront de faim. — Hé ! d’où vient, mon cher ami, leur fais-tu souffrir si gaiement ce que tu serais si fâché de souffrir toi-même ? Tes petits camarades qui courent au village vont être bientôt détrompés ; ils trouveront leur mère ; mais ces petits oiseaux ne verront plus revenir la leur, que tu as prise ou tuée. Je ne t’en veux pas de ce que tu as fait jusqu’à présent, parce que tu l’as fait sans réflexion ; mais je t’en voudrai pour tout de bon, si tu le fais encore.

— Je ne le ferai plus, Monsieur, m’a-t-il répondu d’un air moitié honteux, moitié attendri. — Bien sûrement ? — Oh ! oui, sûrement En ce cas, nous resterons amis ; touche-moi la main. Touche donc. Bon.

Il a repris bien vite un air souriant et content de lui, et je lui ai recommandé, en le quittant, de raconter à ses camarades tout ce que je lui avais dit. Il me l’a promis, et j’en crois sa promesse, car en me retournant quelques instants après, je l’ai vu lâcher une hirondelle qui