Page:Say - Œuvres diverses.djvu/750

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tham, il se trouve une action de laquelle il résulte évidemment plus de mal que de bien, il ne faut pas balancer à regarder cette prétendue vertu comme un vice. » Soumettons à cette épreuve la bravoure dans les combats. Elle est généralement regardée comme une vertu ; et sans doute elle l’est, lorsqu’on repousse une agression injuste, parce que le résultat en doit être l’indépendance et la liberté.

Mais que faut-il en penser ? de combien d’applaudissements et de récompenses convient-il de la payer, lorsqu’elle se déploie à l’appui d’une cause inique, et dont les résultats sont l’autorité arbitraire, les abus et l’oppression ? Ce guerrier qui a prêté serment à non chef, tandis que ce chef marchait dans la route du bien public, fait-il un acte utile en continuant à le servir, lorsque ce chef devient un furieux, un incendiaire ? Est-ce vertu que de sacrifier sa vie pour poursuivre et persécuter les hommes qui lui déplaisent, qui ont blessé son orgueil ?

De même, si dans le catalogue banal des péchés, il se rencontre quelque action indifférente ou quelque plaisir innocent, faut-il être dupe de la routine ou du préjugé ? ou plutôt ne faut-il pas envisager les conséquences et déclarer innocent ce qui ne fait point de mal ?

Lorsqu’on arrive à vouloir balancer le bien et le mal que chaque action peut produire ; lorsqu’il s’agit d’additionner tous les biens d’un côté, de l’autre tous les maux, et de faire une soustraction pour savoir de quel côté est l’excédant, et s’il y a plus de bien que de mal, de vertu que de vice dans une action donnée, on rencontre véritablement de grandes difficultés. Bentham les a fort habilement surmontées en dressant un catalogue si complet des peines et des plaisirs que l’homme peut éprouver, soit comme individu, soit comme membre de la famille et de la communauté, qu’on ne saurait trouver une sensation qui ne puisse pas s’y classer[1].

Ce grand investigateur de la nature humaine a observé avec la même sagacité les objections, les sophismes, dont on a, dans tous les temps ; essayé d’ébranler le principe de l’utilité, sur lequel, après tout, se fonde le bonheur de notre espèce ; il range ces sophismes sous deux chefs, qu’il appelle le principe de l’ascétisme et le principe arbitraire ou du sentiment. Ces mots ne nous disent encore rien ; cependant ils couvrent beaucoup d’idées, comme nous allons en juger.

Par l’ascétisme, il ne faut pas entendre seulement les pratiques de dévotion et de pénitence usitées dans les cloîtres, mais aussi les principes professés par des sectes entières de philosophes, comme étaient les stoïciens, et par beaucoup de personnes éparses dans la société. Tout ce qui flatte les sens leur parait odieux et criminel ; ils fondent la

  1. Voyez les Traités de Législation, ch. 8, p. 57, 3e édit.