Page:Say - Œuvres diverses.djvu/749

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que n’y a point de droit, il y a une injustice produite : or, toute injustice est un mal, d’abord pour celui qui en est victime, et ensuite pour la société, parce qu’elle décourage de faire le bien ; elle nuit à ce qui augmente la somme des biens, en même temps qu’elle ajoute à la somme des maux. Quiconque adopte le principe de l’utilité, ne saurait donc prendre la défense de l’injustice.

Si nous croyons que ce qui est utile doit être la règle de notre approbation et de nos actions ; en moins de mots, si nous adoptons le principe de l’utilité, nous ne devons entendre par là que la véritable utilité, ce qui est vraiment utile, ce qui doit entraîner bien réellement plus de bien que de mal ; cela nous met dans l’obligation de nous éclairer sur les conséquences des choses, d’étudier la nature de chaque chose, et la manière dont les faits se lient les uns aux autres. C’est pour cela que les lumières sont nécessaires à la morale.

Je sais bien qu’à défaut de lumières, on pourrait s’en rapporter à ceux qui en ont ; mais on rencontre alors un grand danger. L’homme que l’on consulte, au lieu de conseiller à l’ignorant ce qu’il y a de plus utile à faire, peut lui conseiller ce qui convient à lui directeur, ou à sa caste, plutôt que ce qui augmente véritablement la somme des biens, ou diminue véritablement la somme des maux. Qu’une veuve, dans l’Indoustan, demande à un bramine : Faut-il que je me brûle sur le bûcher de mon époux ? Il est à craindre que le bramine ne lui réponde : Vous ferez une action vertueuse en montant sur le bûcher ; quoique, suivant le principe de l’utilité, cette action cruelle ne soit point recommandable, puisqu’il ne résulte aucun bien pour personne de cette horrible exécution (si ce n’est peut-être une augmentation de respect et de revenu pour la caste des bramines), et qu’il en résulte au contraire une augmentation de maux déplorable. Quand bien même l’avantage qui en reviendrait aux bramines égalerait les maux qui en résultent pour les veuves, il resterait toujours que cet avantage serait pour ceux qui n’y ont pas de droits, et le mal pour ceux qui ne l’ont pas mérité ; dès lors, affreuse injustice, augmentation grave dans la somme du mal.

Il est donc important, en adoptant le principe de l’utilité, d’écarter les vertus et les vices de convention, et de ne donner le nom de vertu qu’à ce qui augmente véritablement la somme du bien, et, par conséquent, à ce qui est utile ; et le nom de vice qu’à ce qui augmente véritablement la somme du mal. À nos yeux, la vertu n’est pas vertu, parce qu’il nous est commandé de la considérer comme telle, mais parce qu’elle est bonne et utile à la société. Le vice n’est pas vice, parce qu’on nous le défend, mais parce qu’il entraine des maux, parce qu’il est funeste à la société. Cette morale est la seule qui soit digne d’un être aussi noble et intelligent que l’homme ; tout autre tend à l’avilir, à le dégrader. « Si dans le catalogue banal des vertus, dit Ben-