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un grand nombre d’années ; plus que toute autre, l’assurance sur la vie demande à être poursuivie avec suite pendant de longues périodes; lavie toujours précaire d’un homme isolé n’inspirerait pas la confiance que donne l’existence indéfinie d’une association.

Bien que la loi ne leur impose aucune forme spéciale, les sociétés qui pratiquent l’assurance à forfait se constituent sous la forme anonyme avec un capital dont le chiffre, souvent plus élevé qu’il ne serait nécessaire, a notamment pour objet d’attirer par les apparences d’une grosse garantie la clientèle des assurés.

Formées dans un esprit de gain, elles ont pour premier but d’arriver à une rémunération aussi large que possible du capital employé. Cette circonstance, qui influe notablement sur la manière dont sont conduites leurs opérations, offre des avantages et des inconvénients. La stimulation du bénéfice donne aux sociétés par actions un précieux esprit d’initiative et d’activité; elles ont multiplié les combinaisons les plus diverses pour mettre l’assurance, et notamment celle sur la vie, à la portée de toutes les situations ; elles ont perfectionné l’art de l’assurance ; enfin elles ont contribué pour une très large part à la propagation de l’institution, et on leur doit l’extension considérable qu’elle a prise au XIXe siècle. Mais ces avantages n’ont pu être obtenus que par des procédés coûteux, et c’est là l’origine de l’un des inconvénients le plus souvent reprochés aux compagnies, le chiffre élevé des commissions données aux agents et, par suite, des frais qui surchargent le prix de revient de l’assurance. Cet inconvénient n’a pas été sensiblement atténué par la concurrence, et les réductions de tarifs qu’elle a suscitées à diverses reprises n’ont pu être faites souvent qu’aux dépens de la sécurité des assurés. Pour obvier à ce danger, les compagnies se forment en syndicats dans le but de maintenir les primes à un prix rémunérateur. On ne peut pas affirmer que ces coalitions soient absolument contraires aux assurés, dont les intérêts seraient compromis par des entreprises de pure spéculation. D’un autre côté, les syndicats produisent certains bons effets, notamment en permettant aux compagnies d’assurer des risques particulièrement dangereux, tels que le risque de guerre, etc.

13. L’assurance mutuelle.

Le mode de gestion des entreprises d’assurance connu sous le nom d’assurance mutuelle est une combinaison de l’assurance individuelle et de l’assurance par association.

Un certain nombre de personnes mettent en commun leurs risques et s’obligent à compenser, chacune proportionnellement à son risque, le dommage éprouvé par ceux desassociés qui seront atteints parla réalisation du risque prévu. Ici, les assurés se constituent solidairement leurs propres assureurs toutes les charges et tous les avantages de l’opération se réunissent sur les mêmes têtes.

Chaque associé pris individuellement est assuré pour la somme qu’il met en risque; il doit, à ce titre, une cotisation égale à son risque, il jouit de la garantie qui résulte del’équation établie entre la prime et le risqueet se trouve créancier éventuel de la sociétépour l’intégralité du dommage qu’il pourra souffrir par le fait du sinistre prévu. D’un autre côté, ce même associé est assureur, non seulement de sa propre valeur, mais de l’ensemble des valeurs mises dans la société ; il est assureur de cet ensemble pour une proportion égale au risque qu’il a lui-même apporté dans l’association ; il est donc tenu dans cette proportion des obligations de la société. Sa cotisation comme assuré se résout en sa. part d’obligation comme assureur. Cette part de dette, toujours égale au risque dans la théorie, peut, en réalité, s’en écarter plus ou moins, d’où il suit que la cotisation est variable et que la quotité de cette contribution reste incertaine jusqu’après l’accomplissement des faits[1]. Tels sont les caractères distinctifs de l’assurance mutuelle.

La confusion des rôles d’assureur et d’assuré exclut des sociétés mutuelles toute idée de commerce, de spéculation et, en fait, presque tout esprit de concurrence. L’absence d’un capital à rémunérer réduit les déboursés aux besoins stricts de l’association, ce qui réalise une économie notable par comparaison avec les dépenses des sociétés d’assurance à forfait.

Mais l’esprit de spéculation et de concurrence se retrouve quelquefois dans l’administration des sociétés mutuelles d’assurance. Il n’y a dans ces combinaisons que la direction qui gagne ; les autres, les assurés-assureurs, se réglent entre eux par un équilibre parfait du risque et de la cotisation. Le salaire des agents de la direction atteint parfois. des proportions très élevées, en rapport avec le développement des mutualités dont ils ont la gestion. Ces agents deviennent entrepreneurs de gestion et sont à ce titre soumis aux mêmes incitations de spéculation et de concurrence que les autres entrepreneurs.

On a justement comparé les sociétés d’assurances mutuelles à des sociétés coopéra-

  1. La variabilité des cotisations est un inconvénient auquel il peut être remédié dans la pratique, ainsi qu’on leverra dans le § suivant.