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BOURGEOISIE 215 BOURGEOISIE

le réparer leurs maisons, surtout pour litique, mais se montra, à un très haut degré, ministration de la justice. Les bourgeois civil et industriel. villes anciennes étaient soumis à la taille Considérée dans ses temps de formation ou de réparer leurs maisons, surtout pour l’administration de la justice. Les bourgeois des villes anciennes étaient soumis à la taille pour les personnes, au cens sur les immeubles, à des droits sur l’entrée des denrées et des marchandises, sur les ventes et les mutations, à des impôts pour la plupart des actes de la vie civile. Adopter une profession, marier leurs filles, faire entrer leurs fils dans le clergé, rien de tout cela ne se faisait pour eux sans grands débours. Les mainmortables des villes neuves, ne possédant la terre que par une sorte de bail perpétuel, ne pouvaient ni l’aliéner ni l’hypothéquer ; ils étaient privés du droit de tester quand ils n’avaient pas d’enfants légitimes ; ils ne se mariaient qu’avec le consentement du seigneur. Les chartes furent autant de conquêtes du droit naturel, de la liberté civile sur les différents degrés de cette tyrannie. Tantôt elles furent des concessions arrachées de vive force par de véritables insurrections ; tantôt elles provinrent de l’octroi intéressé de la royauté, cherchant pour ses besoins intérieurs ou extérieurs des subsides réguliers contre l’étranger et un auxiliaire armé contre la féodalité menaçante tantôt, quoique plus rarement, elles furent conquises par le tiers état seul, malgré cette même royauté s’unissant aux seigneurs contre les vassaux révoltés. Il fallut des efforts inouis et souvent renouvelés pour que la commune pût posséder

une juridiction indépendante, une véritable souveraineté dans l’intérieur de ses murailles.

La maison de nos aïeux fut souvent à la fois une fabrique et un château fort. Dans la mesure de la liberté et de la sécurité croissantes l’industrie se développa, le commerce s’étendit, la richesse devint plus abondante. Telle fut, au point de vue économique, l’immense, l’incontestable utilité de la commune, sous quelque forme qu’on l’envisage, soit qu’il s’agisse de la ville municipale du Midi, imitée des républiques de l’Italie, administrée par ses consuls, ses capitouls, ses jurats, ses prud’hommes, et se développant avec une complète indépendance sur le fonds permanent de l’antique municipalité romaine ; soit qu’il s’agisse de la ville de bourgeoisie du centre, qui dut ses privilèges aux concessions seigneuriales et s’administra par des magistrats élus, mais sous la surveillance des officiers du seigneur ; soit qu’il s’agisse enfin de la commune proprement dite du Nord, constituée par association sous la foi du serment, administrée par des magistrats procédant uniquement de l’élection, maires, échevins, jurés, et dont le développement tout spontané, quoique bien plus contesté, fut très peu politique, mais se montra, à un très haut degré, civil et industriel.

Considérée dans ses temps de formation laborieuse, l’histoire économique du tiersétat peut se désignerpar la lutte dela richesse mobilière, née de l’industrie, contre la propriété territoriale, fille de la conquête. D’un côté, tout ce qui représente le droit en économie politique ; de l’autre, l’établissement longtemps solide, mais démoli pièce à pièce, de la force. De là aussi, comme second trait caractéristique et comme corollaire, la prédominance croissante des villes sur les

campagnes, c’est-à-dire la prééminence progressive du travail libre sur le travail serf le premier, élément actif de civilisation, trouvant dans les effets mêmes de sa fécondité des ressources nouvelles ; le second, inerte vestige de la barbarie. C’est une triste et monotone histoire que celle de cette partie sacrifiée du tiers état qui vit dans nos campagnes opprimées et à demi sauvages. Sur elle pèsent les charges les plus lourdes, les impôts les plus inexorables, les corvées, la taille, la gabelle. Sans doute on la voit çà et là faire effort, à l’exemple des villes, pour améliorer sa condition, forcer les seigneurs à transiger ; mais ces efforts partiels ne présentent ni la même suite, ni le même succès que le mouvement continu et irrésistible des villes où règnent, avec une liberté plus grande, l’association, l’industrie. Les réclamations des légistes qui, du douzième au quinzième siècle, jouèrent dans la sociétéle même role que les philosophes devaient jouer plus tard, et qui firent parler la justice comme le christianisme faisait parler la charité les ordonnances de quelques rois, singulièrement de Philippe le Bel et de Louis le Hutin, rappelant aux seigneurs, en des termes dont la hardiesse est bien faite encore pour nous étonner, que toute créature est franche par droit naturel, et que tout chrétien a été racheté par le sang de Notre-Seigneur ; ces revendications et ces mesures instituèrent le respect de la vie, et jusqu’à un certain point de la personne des serfs, mais laissèrent subsister leurs plus cruelles souffrances, leurs plus pénibles privations de chaque jour. Il n’était donné qu’à l’accroissement progressif du capital, au grand travail politique non interrompu de la France, de pouvoir y mettre un terme qui ne fût pas illusoire. Les violences populaires échouèrent, comme cela devait être, dans un.e tentative trop au-dessus des moyens de la barbarie et qui alors ne pouvait se traduire dans la loi. La Jacquerie, avec ses représailles horribles qui en amenerèrent d’effroyables, ne put que les aggraver. Malgré

des adoucissements successifs, et bien qu’au