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63 APPROPRIATION cernent est dans les convoitises que Avec la liberté, au contraire, lE

gouvernement est dans les convoitises que suscite la possession dupouvoir suprême. Ces convoitises sont d’autant plus ardentes et plus étendues que les attributions du gouvernement sont plus grandes. Diminuer les attributions du gouvernement, c’est écarter les difficultés que présentent sa constitution et son fonctionnement. Augmenter les attributions du gouvernement, c’est augmenter les difficultés et les injustices ; aller jusqu’au communisme, ce serait les porter au maximum.

10. Comparaison d’ensemble.

Si nous comparons les deux régimes dans leur action d’ensemble, nous voyons qu’avec la liberté, le premier moteur, qui est le besoin, engendre directement l’action industrielle j’ai besoin, je travaille sans être astreint à attendre l’ordre de personne. Avec l’autorité, il y a un intermédiaire, le gouvernement, dont il me faut attendre l’ordre ou le jugement de mes réclamations. Il y a dans ce dernier arrangement une perte de temps, il y a aussi un frottement de volontés infiniment plus grand que dans le premier. Or, dans les arrangements sociaux plus encore que dans les combinaisons mécaniques, les frottements usent en pure perte des forces considérables en pareille matière, les frottements ont pour effet d’augmenter la difficulté de vivre.

Lorsque l’on compare, même à la hâte, les deux régimes d’appropriation, on reconnaît que l’autorité est, sous tous les rapports, bien inférieure à la liberté, qu’elle dirigerait moins bien l’industrie, stimulerait beaucoup moins le travail musculaire et d’épargne, traiterait l’invention et le progrès en ennemis et tiendrait l’industrie dans un état de pauvreté presque stationnaire. Il est évident qu’elle ne saurait maintenir une population ni aussi nombreuse, ni aussi riche que la liberté. Encore avons-nous laissé en dehors toutes les considérations relatives aux effets naturels du pouvoir attribué à l’homme sur l’homme.

Cependant ces effets sont connus. Dès que l’homme a un pouvoir sur son semblable, il en abuse pour s’approprier celui-ci autant qu’il le peut, jusqu’à l’esclavage inclusivement. Sous un régime d’autorité, les gouvernants pourraient tout, les gouvernés ne pourraient rien les premiers seraient corrompus par l’extrême domination, les seconds par l’extrême sujétion. L’ensemble constituerait un groupe faible, sans énergie, sans esprit de ressource, incapable de soutenir, soit dans la guerre, soit dans l’industrie, la concurrence des groupes humains plus libres.

Avec la liberté, au contraire, les empiétements que chacun peut tenter sont contenus par la résistance des autres. Dans l’échange, on ne conclut qu’après un débat sérieux, dans lequel les volontés s’accordent, par l’impossibilité où elles se trouvent d’obtenir davantage. Elles ne fléchissent pas devant un ordre arbitraire, toujours discutable et contestable, comme tous les ordres d’autorité, mais devant une nécessité constatée et sentie à laquelle on ne saurait pas plus résister qu’on ne résiste à une loi naturelle. En effet, avec la liberté, tous les services, comme toutes les marchandises, sont au concours et ce concours n’a point de fin quiconque pense pouvoir mieux faire que ses concurrents peut agir sous saresponsabilité, assuré d’une récompense, s’il a raison, et d’un châtiment, s’il s’est trompé. Sous un régime d’autorité, il devrait proposer et discuter ; avec la liberté, il agit. Ce régime porte à son maximum l’énergie et l’esprit de ressource. Comparons encore les deux régimes sous l’action de la concurrence vitale. Cette concurrence est inévitable, quel que soit le régime sous lequel les individus se trouvent placés. Avec la liberté, la pression de cette concurrence est très sentie et elle est terrible pour les faibles, auxquels elle interdit en quelque sorte l’accès de la vie ; mais, quelque dure que puisse être leur condition, ils n’ont à se plaindre que de la nature, non des hommes. Sous l’autorité, la pression est la même, mais elle s’exerce autrement, par la sollicitation auprès de ceux qui disposent de tout. Dans cette forme de concurrence, les faibles peuvent échapper en se faisant humbles les forts, ceux surtout qui seraient capables de susciter l’envie des gouvernants, seraient sacrifiés, au détriment de la force du groupe. Lorsque l’on compare méthodiquement avec une attention sérieuse les deux régimes d’appropriation, on ne peut éprouver aucun doute à tous les points de vue, la liberté est préférable. Mais pour faire utilement cette comparaison, il faut considérer les faits de haut et d’ensemble, ce qui répugne à un grand nombre d’esprits ; ils ne peuvent comprendre le jeu des forces, qu’ils ne voient pas, sans songer que les forces, quelles qu’elles soient, ne se manifestent que par, leurs effets. Qui a jamais vu la gravitation, le calorique, ou l’électricité  ?

C’est pour cela que tant de gens et le vulgaire en général ne peuvent comprendre, sous le régime de la liberté, ni la fonction du commerçant, ni celle du propriétaire et du capitaliste. Ils ne comprennent pas davantage que les phénomènes auxquels donnent lieu les mouvements de la population sont


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