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Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/111

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Devenu riche et très au fait du commerce et de l’industrie, il résolut de faire profiter son pays de l’expérience acquise. C’est ce que lui-même expose dans sa « Supplique au roy » . « Ayant faict dit-il, service du roy en mon estât de tailleur et de valet de chambre ; et ayant esté depuis, marchand en vostre argenterie, la longueur du temps — trente ans

— et le trafic que j’ai faict avec plusieurs marchands estrangers, m’a faict avoir une expérience pour connaître le mal... » C’est donc au milieu de ses grandes affaires qu’il conçut ses projets de réformes commerciales et manufacturières. Il voulait que la France cessât d’être tributaire de l’étranger pour les étoffes précieuses, tissus de soie, toiles et draps d’or et d’argent qu’elle tirait à grands frais d’Italie, d’Angleterre, des Flandres, de Genève et d’Allemagne ; « car c’est par cette voye, disait-il, que toutes les espèces monnayées émigrent à l’étranger ; ce qui ne devrait pas être, puisque la France pourrait fabriquer et manufacturer ces étoffes elle-même avec plus de facilité et de bon goût que ses voisins ». C’est ce qu’il exprimait encore de cette façon pittoresque : « Les anciens disoient que celui qui peut faire un puits en sa terre, ne doit ni emprunter ni acheter l’eau d’autrui ».

Laffemas publia d’abord deux brochures, ne formant qu’un corps de doctrine et pour ainsi dire qu’un ouvrage : 1° Trésors et richesses pour mettre V Estât en splendeur ; 2° Sources de plusieurs abus, monopoles, qui se sont glissés sur le peuple de France, puis il les présenta au roi qui les accuillit en riant par cette gasconnade de belle humeur : « Puisque mon tailleur me fait des livres, je veux qu’à l’avenir mes chambellans me fassent des chausses ». Mais cette plaisanterie ne l’empêcha point d’inviter les États de Rouen à s’occuper des questions soulevées dans les deux opuscules, auxquels Laffemas ajouta un mémoire intitulé : Règlement général pour dresser manufactures en ce royaume. Toute l’œuvre de Laffemas est dans ces trois pièces. Ses autres brochures (et elles sont nombreuses) ne sont guère que des développements pratiques pour l’application de ses idées. Celles qui ont traita la multiplication et à la culture du mûrier et à F élevage des vers à soie en France, ne sont que l’exposé des moyens à employer pour la fabrication ■directe des tissus précieux en France. La brochure : Incrédulité ou ignorance de ceux qui prétendent connoître le bien de V Estât, ne tend guère qu’à vouloir prouver que lui seul, Laffemas, a vraiment cette connaissance. Son Discours d’une liberté générale et vie heureuse pour le peuple affirme que cette liberté et cette vie heureuse ne se trouvent que dans le développement des manufactures, et surtout des manufactures de toute sorte de tissus. Même tendance dans son petit livre : Moyen de chasser la gueuserie de France. Dans celui qu’il intitule : De la liberté du transport de Vor et de V argent hors du royaume, il revient tout simplement à ce point de départ, qu’il n’en doit point sortir pour l’acquisition des tissus précieux et ordinaires « qu’on peut manufacturer en iceluy royaume ». Quant aux trois pièces qui sont l’œuvre économique même de Laffemas, on a voulu y voir plus de choses qu’elles n’en contiennent réellement. Il y a loin de Laffemas à un véritable économiste. Il a tous les préjugés de son temps et de sa condition. Son unique point de mire c’est la caisse vide du roi qu’il est urgent de remplir ; et, pour ce faire, il ne trouve qu’un moyen : fabriquer en France même les tissus précieux, les draps d’or et d’argent « dont les princes et princesses ont de besoin » et aussi, tous tissus ordinaires « pour le menu peuple ». Toute la donnée générale est là ; elle ne suppose pas un grand effort de conception. Mais où Laffemas devient vraiment original, c’est dans les détails, dans l’exposé des voies et moyens pratiques pour aboutir. Ce n’est pas un créateur, mais il excelle à améliorer ce qui existe. Il y avait alors des manufactures en France, mais Laffemas en voulait un plus grand nombre et s’é tendant à une plus grande diversité d’articles ; et il les voulait surtout mieux organisées et soumises à des règlements de production, et qui assurassent le bien-être du royaume. On est vraiment étonné, en parcourant tous ces projets condensés en moins de cinquante pages, d’y rencontrer tant de considérations intéressantes, de faits curieux et de réformes entrevues. Voici, par exemple, ce qu’il dit de la justice entre commerçants : « Il y aura des fabricants, des ouvriers et des marchands de tous états, gens de bien et de bonne réputation, ne prenant aucun salaire, et qui videront les différends des ouvrages et manufactures qui leur seront soumis ». Et ailleurs, devançant les chambres de commerce (voy. ce mot). « Pour bien faire travailler et manufacturer les ouvrages, dit-il, il est de besoin de dresser des chambres, lesdites chambres étant le vrai remède d’amener à bonne fin toutes les entreprises qui se travailleront par tout le royaume. » Et voici quelles devaient être les attributions de ces chambres : c< Prononcer sur les différends, faciliter le placement des travailleurs sans ouvrage ; amener progressivement l’abolition des confréries ; conduire les produits à leur perfection, rapatrier les ouvriers que les troubles