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LE PLAY

SOMMAIRE

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LE PLAY

. Vie de Le Play et appréciation générale. a. La théorie de l’influence de la nature des lieux. . La méthode des monographies.

« Vie de Le Play et appréciation générale. Né à la Rivière, près de Honfleur, en 1806, Le Play est mort à Paris en 1883, après avoir été successivement ingénieur des mines, inspecteur général de ce corps, professeur à l’École des mines, directeur des mines de l’Oural, commissaire général aux expositions universelles de 1852, 1855 et 1867, conseiller d’État et sénateur. Le cadre de cette étude ne nous permet pas de suivre les diverses étapes d’une des carrières les mieux remplies de ce siècle. Nous devons nous contenter de rechercher quelle a été la part de Le Play dans le mouvement des idées de notre temps et d’analyser les œuvres principales qui feront vivre son nom.

L’idée première de Le Play, celle qui donne une originalité incontestable à ses travaux, c’est d’avoir appliqué aux études sociales les procédés scientifiques des sciences d’observation. Avant lui, d’Aristote à Adam Smith, on avait jeté les fondements de la méthode appliquée à l’observation des faits ; mais il était réservé à Le Play de la développer et de lui donner une puissance jusqu’alors inconnue. Esprit exact, pénétrant, exigeant avec lui-même jusqu’au scrupule, il ne néglige rien de ce qui pouvait perfectionner ses procédés de travail et faire avancer la science d’application à laquelle il s’était voué. Attiré de bonne heure vers les études sociales, ayant lu et analysé de concert avec son ami et camarade d’école Jean Reynaud, il résolut de sortir du domaine des abstractions pour étudier sur place les conditions sociales des différents peuples d’Europe. De 1829 à 1853, c’est-à-dire pendant vingt-quatre ans, il fit un voyage de six ou sept mois chaque année. En même temps qu’il étudiait les conditions spéciales des industries, il s’attachait à suivre dans ses moindres détails l’existence des travailleurs. Il étudia ainsi l’ouvrier sous tous ses aspects et dans toutes les conditions de sa vie journalière. Le premier, il traça ces monographies exactes et complètes qui peuvent servir de cadres et de modèles aux travaux de ce genre. Il photographia, selon son expression, des types d’ouvriers et de famille et, ce n’est qu’à la suite d’épreuves répétées, qu’il se décida à publier les Ouvriers européens, livre original et neuf qui surpasse de beaucoup les études par à peu près faites par ses devanciers : « Ce premier ouvrage, écrit Sainte-Beuve, est un modèJe et devrait être une leçon pour tous les réfoimateurs, en leur montrant par quelle série d’études préparatoires, par quelles observations et comparaisons multipliées il convient de passer avant d’oser se faire un avis et de conclure 1 . »

Les Ouvriers européens contiennent 36 monographies d’ouvriers pris dans les conditions les plus diverses : 1° dans l’état encore à demi nomade ; 2° dans le système des engagements forcés, comme au temps du servage, 3° dans celui des engagements volontaires permanents ; 4° enfin, dans le système des engagements momentanés, qui est généralement le nôtre. Il a pris tous les états et toutes les professions, depuis le pasteur de l’Oural jusqu’au maître blanchisseur de la banlieue et au chiffonnier de Paris ; et à tous il a appliqué rigoureusement sa méthode de description nette, exacte, minutieuse. Après avoir terminé son enquête personnelle à travers l’Europe, Le Play songea à en poser les conclusions et à en développer les idées générales. Il écrivit en 1804 son livre capital, la Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. Un des disciples les plus distingués de Le Play, M. Claudio Jannet, a résumé de la façon suivante les idées maîtresses qui se dégagent de cet ouvrage s.

« Le but de l’activité des sociétés humaines est moins le développement de la richesse en elle-même que l’obtention du bien-être pour les hommes. Le bien-être suppose le pain quotidien ; mais il n’existe pas en dehors de la paix sociale. Le véritable critérium du bien-être des sociétés, c’est le contentement, l’acceptation de leur sort par les hommes ; c’est la paix entre les classes, la paix dans la famille, dans l’atelier et dans lÉtat, cette paix que. le Sauveur a apportée aux hommes ! Les sociétés compliquées de l’Occident semblent malheureusement l’avoir perdue, et l’instabilité, l’antagonisme qui en résultent, causent tant de souffrances, qu’elles contre-balancent presque les bienfaits résultant des grands progrès matériels de notre temps.

« Le mal moderne vient plus encore de l’erreur que de la volonté mauvaise. Notre temps est caractérisé par des aspirations vers le bien, peu profondes sans doute parfois, mais très nombreuses et généralement sincères. On les rencontre dans tous les milieux. Si notre société est si désorganisée, . Nouveaux Lundis, t. IX.

. L’École Le Play, conférence faite à Genève par M. Claudio Jannet. Stapelmoir, éditeur, 1890.