Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/168

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fait revivre Vidée d’une rareté possible de l’or et d’une lutte entre les nations pour se le disputer, inspirant aux masses une juste terreur du danger qu’ils imaginaient. Ils ont interprété le laisser faire comme si c’était un dogme d’une application universelle, afin de s’en débarrasser comme règle de conduite. Ils ont marché d’un pas rapide dans la réalisation du dogme : VÊtat pour l’État, substituant la doctrine de l’État qui internent toutes les fois qu’il le peut, à celle de l’État qui n’intervient que s’il ne peut pas s’en dispenser ; se laissant aller à un sentiment qu’on a bien défini en disant que c’est le « prurit » de l’intervention de l’État. La « raison d’État » apparaît de nouveau comme un Moloch auquel il faut sacrifier des vies inconnues, et des bonheurs incommensurables. On a inventé une économie politique romantique, qui a l’air de suivre les politiciens, pour leur fournir des raisons philosophiques à l’appui de ce qu’ils entreprennent. Les patrons sont protégés contre la concurrence. L’État leur donne des tarifs spéciaux sur ses chemins de fer pour leur apporter leurs matières premières. On subventionne des navires pour exporter leurs produits et peut-être y ajoute-t-on une prime cachée. On établit des colonies pour leur fournir un marché. Puis l’État prend en mains la cause de leurs employés. Il les force à les assurer contre toute espèce de choses, y compris eux-mêmes. Il constitue les ouvriers en corporations pour qu’ils puissent soutenir la guerre industrielle. On règle les heures de travail. On surveille les usines et les logements où les artisans habitent, sans s’apercevoir que par des loyers et des impôts tout retombe en fin de compte sur le coût de la production. Peut-être ajoutera- t-on atout cela une loi où on lira que seuls les « maîtres » pourront prendre une commande ou employer des apprentis , avec un système de témoignage pour le bon ouvrage, qui finira par une méthode de rédacteurs de rôles secrets où on inscrira les noms des suspects.

On passe ensuite au consommateur, on fait des lois contre les falsifications, les faux produits et l’oléo-margarine. On essaye de supprimer par la loi les trusts dont la plupart ont été justement fondés pour exploiter les spéculations avantageuses que la loi a commencé par rendre possibles. Nous entendons parler encore de mesures à prendre « pour donner de l’emploi au travail » ou « pour ouvrir un marché ». Le système d’arithmétique de douane, dans lequel, selon Swif, deux et deux font un et non pas ’quatre, est en pleine activité et fonctionne de . LIBERTÉ DES ÉCHANGES

nouveau. Ce système, -tel qu’on le pratique de nos jours, manque de certains éléments sérieux qu’on trouvait dans le mercantilisme. Le mercantilisme était, nous l’avons, constaté, remarquablement logique et consistant. Il était fondé sur des principes bien établis. Le nouveau système n’a au contraire ni racines, ni fondement, ni consistance dans le plan, ni méthode, ni théorie, ni idée. Il faut lui construire des fondations et, pour ainsi dire, les faire sous lui. Quelquefois on dit de cette substructure qu’elle est historique. Mais tout ce que l’histoire nous lègue, nous arrive avec toutes les folies et toutes les erreurs du passé et ces folies et ces erreurs ont une légitimité historique aussi solide que le reste. On ne peut les découvrir et les éliminer que par une analyse critique conduite par les procédés et avec les connaissances nécessaires. L’histoire peut être aussi bien la plusnoble servante de la science que le plus vil esclave de la réaction et de l’obscurantisme.

On propose une autre substruction qui serait éthique et morale. C’est une tentative à peine voilée pour soumettre l’économie politique à la métaphysique, ou aux prétendues aspirations morales de la foule environnante. On ne détermine jamais distinctement la signification du mot éthique. Veut-on parler des sciences morales ou des coutumes, mores, de la communauté ? Toute cette prétendue philosophie sociale a l’air d’avoir été fabriquée ad hoc, pour essayer de donner les meilleures excuses de ce qui est indéfendable, ou pour plaider la nullité des généralisations qu’on ne peut nier. Aussi n’éprouvons-nous aucun étonnement de voir les fauteurs du système se laisser aller à toutes sortes d’aspirations poétiques, et courir après ce qu’il y a de plus impossible en idéal dans toutes les directions où l’on ne se heurte pas aux intérêts politiques du jour. L’Europe occidentale, et le Nord- Amérique oriental se font aujourd’hui face mutuellement. Il y a des deux côtés des populations d’une densité considérable, et des industries qui ont atteint le plus haut degré de développement ; et derrière eux, dans 1 Amérique de l’Ouest et à l’orient de l’Europe, s’étendent d’immenses territoires qui produisent la nourriture et les matières premières. L’ouest de l’Amérique du Nord pousse avec force dans la direction de l’ouest de l’Europe la nourriture et les matières premières que les Américains sont forcés de vendre sur les marchés extérieurs. L’ouest de l’Europe se protège dans une certaine mesure contre ces marchandises, produits primaires de la terre, mais ce qu’elle en prend, elle est