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IMPOT

par un de ses panégyristes : « Pour base de l’impôt, prenez le capital, c’est-à-dire la richesse accumulée : aussitôt le capital qui ne circulait pas circule ; le capital qui dormait se réveille ; le capital qui travaillait redouble d’efforts et stimule le crédit. Le capital ne peut plus rester un seul instant oisif et improductif. Il est condamné à l’activité forcée. Car l’impôt sur le capital étant le même, soit qu’il produise 3 p. 100, soit qu’il produise 6 p. 100 d’intérêt, le capital, par la première de toutes les lois naturelles, s’applique aussitôt à chercher, sans relâche, l’intérêt le plus élevé. » (Emile de Girardin.) « L’impôt sur le capital, dit un autre auteur, fait la chasse aux capitaux oisifs et improductifs. »

Forcer ainsi les capitaux, le fouet de l’impôt à la main, à rechercher les placements avantageux, à se lancer dans des spéculations lucratives, ne semble pas, au premier abord, une combinaison très recommandable. En général, les gros revenus ne s’obtiennent qu’au détriment de la sécurité. Comment approuver un système qui aurait pu me pousser, il y a vingt-cinq ou trente ans, à échanger de la rente française contre des obligations ottomanes ? Trop de personnes déjà succombent spontanément aux appâts des gros intérêts pour qu’il soit licite d’encourager de telles tendances par une contrainte fiscale. La contrainte, d’ailleurs, quel qu’en soit le but, reste toujours impuissante vis-à-vis du crédit : celui-ci échappe et disparaît plutôt que de se soumettre. Seule la confiance, livrée à elle-même, peut réussir à « tirer de leur léthargie les capitaux timorés et retraités ».

Sans insister donc sur ce premier argument, passons à celui qui attribue à l’impôt en question le mérite de frapper la richesse acquise, consolidée, et non pas la richesse en formation.

L’impôt, dit-on, ne doit pas se dresser comme un obstacle devant le capital circulant au moment où celui-ci s’apprête à se transformer en capital fixe. Il ne doit rien prélever sur les valeurs employées à la reproduction d’autres valeurs. Lorsque le percepteur de l’impôt dit au négociant, à l’industriel ; « Tu as gagné tant cette année, donne-moi une part de ton bénéfice », il agit comme un fléau malfaisant : car cette part de bénéfices, multipliée par le crédit et le travail, aurait servi à développer à nouveau les affaires de la maison et celles du pays tout entier, si le fisc ne l’eût pas malencontreusement accaparée.

« Il en est de même pour l’agriculteur, il en est de même pour tous les contribuables ;

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l’impôt sur le revenu prend une part du capital circulant. Il frappe donc la circulation d’un arrêt qui se répercute sur la production en raison géométrique... Il frappe le revenu au moment où il se forme ; il prélève donc toute la part qui aurait pu être employée à la reproduction pour se convertir en capital fixe. » {Théorie et application de Vimpôt sur le capital, par Menier, manufacturier, 1874.) Au contraire, le capital fixe, la fortune acquise eteonsolidée peuvent être impunément frappés : tout au plus risque-t-on de troubler une jouissance oisive. « L’impôt sur le capital, dit-on, est exclusivement un impôt sur les possesseurs ; point de capital, point d’impôt ; qui ne possède rien, ne paye rien ; qui possède peu paye peu ; qui possède beaucoup paye beaucoup. »

Ces idées mériteraient une plus longue description, en raison de l’importance que leur attribuent leurs auteurs. Il semblerait surtout nécessaire de préciser, d’abord, la définition des mots capital fixe et capital circulant ; là réside la clef même du système. Mais une telle définition, très délicate, et souvent quelque peu confuse, risquerait de nous entraîner bien loin *.

Un premier aperçu, d’ailleurs, suffit pour découvrir le point faible de cette partie de l’argumentation des partisans de l’impôt sur le capital. Quel singulier moyen, en effet, d’engager les capitaux à circuler que de leur montrer, dès l’abord, aubout de leur chemin, la perspective d’une pénalité sous forme d’impôt ! Comment espérer voir la richesse . On peut nommer capital fixe tout capital stable, consolidé d’une manière durable entre les mains de son détenteur et susceptible de lui procurer des revenus permanents. Le capital circulant s’entend, au contraire, du capital engagé dans les opérations commerciales et industrielles, destiné non pas à produire des intérêts annuels réguliers, maïs à pourvoir aux achats de matières premières et de marchandises, aux fonds de roulement, à la reconstitution des approvisionnements, au développement de l’outillage, en un mot, à la marche ou à l’extension des affaires. La Société d’économie politique, dans sa séance du 5 mars 1875, s’est attachée à définir, aussi scientifiquement que possible, ces deux expressions. MM. Menier, Joseph Garnier, Frédéric Passy, Paul Leroy-Beauliea, etc., ont pris part à la discussion. (Voir VÊconomiste français du 3 avril 1875.)

D’ailleurs, voici la définition que Ricardo donne de ces deux sortes de capitaux : « Selon que le capital se consomme promptement et qu’il a besoin d’être souvent reproduit, ou qu’il ne s’use que lentement, on lui donne les noms de capital fixe ou de capital circulant. On dit d’un brasseur qui possède des bâtiments et des machines d’une grande valeur et durable qu’il y emploie une grande portion de capital fixe. On dit, au contraire, d’un cordonnier dont le capital est employé à payer les salaires de ses ouvriers, que la majeure partie du bien du cordonnier est un capital circulant ». {Des principes de l’économie politique et de Vimpôt.) Plus loin, d’ailleurs, Ricardo ajoute qu’il est très difficile d’établir strictement la limite qui distingue le capital fix* du capital circulant.