Page:Say - Chailley - Nouveau dictionnaire d’économie politique, tome 2.djvu/189

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de gré à gré, ne de commun consentement, ne pourra être contrevenu à l’ordonnance. » Le monde vit aujourd’hui dans un ordre d’idées différent, et lorsque nous lisons les ordonnances de nos rois, nous ne les trouvons pas moins étranges que les lois antiques : il nous semble qu’elles s’appliquent à un état social où tout travailleur soit fonctionnaire, comme dans l’empire de Constantin. Ces ordonnances sont pourtant l’histoire d’hier, l’histoire de la veille de la Révolution française, et nous traînons encore de lourds fragments de la chaîne sous laquelle gémissaient nos pères.

Mais les idées et les sentiments ont de bien loin devancé les faits : nous avons peine à comprendre l’intervention du gouvernement dans l’intérieur des familles, dans les contrats qui n’inLéressent que les particuliers. Quant au luxe, il ne déclasse rien dans une société nivelée, et il ne peut nuire beaucoup si la loi du travail est respectée, si la rapine ne peut devenir un moyen d’acquérir la propriété.

Depuis la Révolution, on n’a fait en France aucune loi somptuaire, et cependant le luxe ,de vêtements qui distinguait auparavant les classes nobiliaires a disparu. Un duc s’habille comme le premier venu, et il serait montré au doigt s’il cherchait à se distinguer par un costume différent des autres. Telle est la loi somptuaire de notre temps. Quiconque chercherait à se singulariser par des vêtements particuliers ou par un genre de vie exceptionnel serait aussitôt noté, non comme un citoyen dangereux, mais comme un personnage ridicule. L’opinion a subi tout une révolution*

Les dépenses particulières augmentent cependant, et elles suivent même une progression assez rapide. Toutefois elles ne peuvent s’écarter beaucoup de l’égalité ; les prodigalités vaines ne sauraient être un titre de gloire dans une société où la loi du travail est reconnue, et celui qui veut s’y livrer, quelque riche qu’il soit, est obligé par l’opinion, à porter, dans ses plus grands excès même, une certaine pudeur.

Les lois somptuaires ne peuvent plus être proposées de notre temps. N’en faisons pas honneur à notre sagesse, à notre supériorité prétendue sur les anciens ; reconnaissons seulement, et c’est en ceci que consiste le progrès, que le principe constitutif de la société est changé : le monde se meut sur une autre base.

Lorsque le peuple romain eut, au mépris des observations de Caton, abrogé la loi Oppia contre le luxe des femmes, Caton, devenu censeur, essaya de la faire revivre sous une autre forme : il comprit dans ïe cens, c’est-à-dire dans l’évaluation du bien des citoyens, les bijoux, les voitures, les parures des femmes et des jeunes esclaves, pour une somme décuple du prix qu’ils avaient coûté, et les frappa d’un impôt de 3 p. 1000 ou 3 p. 100 du prix réel. Il substitua l’impôt somptuaire à la loi somptuaire.

Les modernes ont fait comme Caton : après que les lois somptuaires ont été tombées en désuétude, ils ont établi des impôts sur les consommations de luxe. L’Angleterre a des taxes sur les voitures, sur les domestiques, sur les armoiries, sur la poudre à poudrer ; nous avons chez nous l’impôt sur les cartes à jouer. Devant l’économie politique, ces taxes sont irréprochables ; mais elles produisent peu au Trésor, et n’ont sur les consommations et les mœurs à peu près aucune influence (Y. Luxe).

Courcelle-Seneuil.

LOMÉNIE DE BRIENNE (Etienne-Charles Loménie, comte de Brienne), naquit en 1727. Destiné à être d’Église, il étudia en Sorbonne et y soutint une thèse que des critiques malveillants trouvèrent entachée de matérialisme. Gela ne l’empêcha pas d’obtenir l’évêché de Condom, en 1761, grâce à la protection du duc de Choiseul. Nommé ensuite archevêque de Toulouse, il devint, de droit, membre des états de Languedoc, et se fit, en cette qualité, une réputation d’administrateur émérite. Il donna son nom au canal de Brienne, qui fut creusé entre la Garonne et le canal de Caraman. Ses ennemis prétendirent qu’il n’avait aucune des grandes qualités d’administrateur dont il faisait parade, et que c’étaient MM. de La Faye et de Montferrier qui lui faisaient son travail. Ses échecs comme ministre semblent leur donner raison. Pourtant Necker, qui le remplaça au ministère lui attribue de l’esprit, de l’habileté, la connaissance des affaires. Peutêtre Loménie de Brienne avait-il assez de capacités pour briller en Languedoc, sans posséder l’ampleur de talents nécessaires à un premier ministre.

Loménie de Brienne fut appelé à faire partie de l’assemblée des notables réunie par Calonne (voy. ce mot) à Versailles le 22 février 1787. Pour remédier à un déficit chronique évalué à 140 millions de francs, Calonne proposait : l’impôt territorial sur tous les biens-fonds ; un impôt sur le timbre ; des adoucissements de la taille en faveur des classes inférieures ; la liberté du commerce des grains à l’intérieur du royaume ; l’abolition de la corvée en nature ; l’établissement d’assemblées provinciales destinées à as-